La théologie, il faut qu’on en parle ! - Espace temps
Le discours théologique peut se refermer sur lui-même. A ce moment-là, il ne se laisse plus interpeller par la diversité des témoignages et d’approches qui coexistent dans la Bible, ni par l’expérience des croyants. La théologie cesse d’être au service de la réflexion, elle cherche à prendre le pouvoir et devient ainsi une idole, une idéologie. Au nom de cette idéologie, il ne faut plus chercher, mais répéter des convictions préétablies. Une sorte de pensée unique se fraie son chemin. Tous ceux qui pensent autrement ou questionnent les convictions sont alors montré du doigt et/ou exclus. Selon les moments de l’histoire et du pouvoir des Eglises dans l’Etat, ceux qui proposent une autre manière de parler de Dieu représentent alors un danger et sont persécutés au nom de cette pensée unique. Les textes bibliques eux-mêmes critiquent une telle recherche de maîtrise de Dieu et de l’être humain (cf. la tour de Babel).
Depuis toujours, les hommes et les femmes ont parlé de ce qu’ils ont expérimenté. C’est ainsi que les textes bibliques relatent des témoignages. Dans l’histoire de l’Eglise, rendre compte d’une expérience spirituelle a donné lieu à un véritable « genre littéraire » qui a été le fondement au 17e siècle du roman autobiographique. Le pasteur et piétiste August Hermann Francke s’exprime ainsi en 1692:« Le jour suivant, qui était un dimanche, je pensai me mettre au lit dans la même inquiétude que précédemment, en réfléchissant aussi que, si aucun changement ne se produisait, je renoncerais à prononcer ce prêche, parce que je ne pourrais pas prêcher dans l’incroyance et contre mon propre cœur, et donc tromper les gens. Je ne sais pas non plus si cela m’aurait été possible. Car je sentais par trop cruellement ce que c’était que de ne pas avoir de Dieu auquel le cœur puisse se tenir; de pleurer sur ses péchés sans savoir pourquoi, ou qui était celui qui arrachait ces larmes, et s’il y avait véritablement un Dieu que l’on avait ainsi courroucé; de voir quotidiennement sa misère et sa grande détresse sans savoir ni connaître nul salut ou refuge. Dans cette grande angoisse, le soir de ce même dimanche, je me mis encore une fois à genoux et invoquai le Dieu que je ne connaissais pas, auquel je ne croyais pas encore, en l’implorant de me sauver de cet état misérable, s’il était vrai qu’il y eût un Dieu. Et voilà que le Seigneur m’exauça, le Dieu vivant sur son trône sacré, alors que j’étais encore à genoux. Son amour de père était si grand qu’il ne voulut pas m’ôter progressivement ces doutes et cette inquiétude du cœur, ce dont je me serais bien contenté, mais pour que je fusse d’autant plus convaincu et que ma raison égarée fût retenue par un frein de rien objecter à sa force et à sa fidélité, il m’exauça soudainement. Car comme en un tournemain, tout mon doute s’envola, je fus assuré en mon cœur de la grâce de Dieu en le Christ Jésus, je pus appeler Dieu non seulement Dieu, mais aussi mon père, toute la tristesse et l’inquiétude de mon cœur me furent ôtées d’un seul coup, et à la place, je fus soudain inondé d’un fleuve de joie, de sorte que je mis tout mon courage à louer et célébrer Dieu qui m’avait témoigné cette grâce. Je me levai dans une autre disposition d’esprit que lorsque je m’étais agenouillé; Car c’était dans un souci et un doute extrêmes que j’avais ployé le genou, et voilà que je me relevai empli d’une joie inexprimable et d’une certitude immense. En m’agenouillant, je ne croyais pas qu’il y avait un Dieu, en me levant, affranchi de la crainte et du doute, je n’aurais pas hésité à verser mon sang pour soutenir garder ma foi. Sur ce, je me mis au lit, mais dans l’immensité de ma joie, je ne pus trouver le sommeil, et à peine mes yeux s’étaient-ils fermés que je m’éveillai et recommençai de louer et de célébrer le Dieu vivant qui s’était donné à connaître à mon âme. Car c’était comme si, durant toute ma vie, j’avais été plongé dans une sorte de sommeil profond, comme si je n’avais agi que dans un rêve dont je ne m’éveillais que maintenant. »Francke, August Hermann: Récit de la Conversion, 1692. Introduction par Dominique Bourel. Trad. par Anne Lagny, in: Revue de Synthèse 1997, 413-424.Le texte autobiographique à partir duquel a été effectuée cette traduction figure dans le recueil : August Hermann Francke, Werke in Auswahl, Erhard Peschke (éd.), Luther-Verlag, 1969, pp. 5-29.
Pour parler du renoncement à la raison, Diderot (1713-1784) utilise la métaphore de la nuit, de l’absence de lumière. Dans son texte, le théologien est celui qui, pour trouver son chemin, doit renoncer à la moindre petite chandelle de lumière. L’auteur écrit « Si je renonce à ma raison, je n’ai plus de guide : il faut que j’adopte en aveugle un principe secondaire, et que je suppose ce qui est en question. Egaré dans une forêt immense pendant la nuit, je n’ai qu’une petite lumière pour me conduire. Survient un inconnu qui me dit: « Mon ami, souffle la chandelle pour mieux trouver ton chemin. » Cet inconnu est un théologien. »
Les Réformateurs Martin Luther et Huldrych Zwingli s’opposent à propos de la question de la présence du Christ dans la Cène. Luther affirme que puisque le Christ a dit « prenez et mangez, ceci est mon corps », le pain, au moment de la Cène, est bel et bien le corps du Christ. Pour lui, il ne faut pas mettre en question cette parole centrale de Jésus. Il ne voit pas pourquoi il faut la comprendre autrement que ce qu’il lit dans les Ecritures. Zwingli se base aussi sur la Bible, mais en citant Jean 6,63 (« C’est l’Esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien ») pour défendre une lecture spirituelle et symbolique du récit de l’institution de la Cène. Pour lui, lorsque Jésus dit « ceci
Les théologiens n’évoluent pas dans un lieu qui ne serait pas touché par ce qui se passe dans le monde. La manière dont ils parlent de Dieu n’est pas atemporelle. Les bouleversements que connaît l’histoire questionnent aussi le langage théologique. Ainsi, après la Deuxième Guerre mondiale, et les horreurs commises et subies dans les camps de concentration, des théologiens juifs se sont demandé comment on pouvait encore parler de Dieu après Auschwitz. Le philosophe Hans Jonas aborde cette question dans un discours célèbre tenu à Munich en 1984 au Rassemblement des jeunes catholiques. Comment évoquer un Dieu sauveur de son peuple, libérateur de l’Egypte alors qu’il y a eu l’extermination dans les camps nazis. Est-ce que cette expérience ne met pas fin à une certaine manière de parler de Dieu dans l’histoire ?