La vocation de Paul - Clés de lecture
Pour connaître Paul, sa pensée et sa théologie, nous ne disposons que des écrits du Nouveau Testament qui le concernent : ses lettres et le livre des Actes des Apôtres L'auteur de ce livre est l'évangéliste Luc, rédacteur du 3e évangile (Evangile de Luc). Luc y raconte la vie des premières communautés chrétiennes, après la mort et la résurrection de Jésus, pour fortifier dans leur foi les communautés nées de la proclamation de l'Evangile aux nations païennes.*. Il n’existe aucune autre littérature contemporaine parlant de sa vie ou de son action aux débuts du christianisme. Toutefois, les lettres de Paul sont les écrits les plus anciens du Nouveau Testament, attribuables sans discussion à un auteur précis, ce qui en fait des témoins inégalés quand on s’intéresse à Paul. Luc, l’auteur des Actes, livre une biographie de l’apôtre Paul, qui a une visée théologique plus qu’historique. C’est à partir de ce récit, rédigé après la mort de Paul, et de quelques indications dans ses lettres que l’on peut reconstituer ses voyages de mission, ses rencontres, les fondations des différentes communautés, au fur et à mesure de sa progression géographique. La tradition populaire et iconographique qui retrace la vie de Paul s’inspire largement des récits des Actes des Apôtres. Pour une présentation de thèmes théologiques pauliniens, la source des lettres sera privilégiée.
Le mot « évangile » est la transcription en français du terme grec « euangelion » qui signifie « bonne nouvelle ». Ce mot est d’abord un nom commun utilisé pour annoncer la victoire par exemple. Dans ses lettres Paul forge le sens théologique de ce nom commun, à savoir « la bonne nouvelle de la Seigneurie de Jésus Christ, ressuscité des morts ». Il utilise généralement ce terme pour désigner le message et son contenu, à savoir la personne même de Jésus Christ, mais aussi la proclamation de cette bonne nouvelle. Pour Paul, contrairement à un enseignement ordinaire, l’Evangile ne tient pas sa force de la qualité de l’enseignant ou de l’orateur, mais bien de ce qui est proclamé. Dans l’annonce de l’Evangile, la puissance de Dieu est à l’œuvre. Paul se considère comme un simple instrument au service de l’Evangile. Le mot évangile désignera ensuite la présentation qui en sera faite sous forme de récits par les 4 évangélistes, comme l’indique le début de l’évangile selon Marc : « Commencement de l’Evangile de Jésus Christ » (Marc 1,1)
Pour parler de l’origine de sa conviction chrétienne Paul parle de révélation. Il reste très discret sur ce que la tradition va appeler sa « conversion ». Sans jamais employer ce terme, il insiste toujours sur la soudaineté et l’extériorité de cette expérience. L’Evangile de Jésus Christ ne s’est pas imposé à lui après une réflexion mûrie mais comme une évidence fulgurante venue de l’extérieur. Ainsi, il peut dire ne pas l’avoir reçu ni appris des hommes, mais directement de Jésus Christ, objet et contenu de cette révélation.Pour justifier son autorité dans l’annonce de l’Evangile, Paul ne s’appuie pas sur ses propres capacités et connaissances, mais sur une expérience existentielle inexprimable. Ainsi l’Evangile qu’il annonce n’est pas la répétition d’une tradition humaine, mais ce n’est pas non plus la transcription de paroles tombées du ciel.
L’origine de la vocation de Paul est rapportée par Luc dans le livre des Actes sous la forme d’un récit, bien connu de la tradition sous l’appellation de « conversion sur le chemin de Damas ». Le mot de conversion n’apparaît ni dans le récit de Luc, ni sous la plume de Paul pour parler de son expérience. Pourtant, comme dans une conversion, il y a bien un avant et un après la révélation. Paul se décrit comme un juif zélé. Il a été élevé dans la tradition de ses pères. Il a étudié les Ecritures, appris la Loi et les commentaires des maîtres, ce qui permet de le qualifier de pharisien. Paul fait ressortir un double contraste : sa longue éducation dans le judaïsme s’oppose à la révélation foudroyante de Jésus Christ, et sa pratique d’un judaïsme exclusif s’oppose à sa vocation d’apôtre auprès de toutes les nations. Ce retournement s’illustre parfaitement dans la figure du persécuteur qui devient un serviteur de celui qu’il persécutait. En affirmant que sa pratique parfaite du judaïsme l’a conduit à persécuter l’Eglise, Paul souligne l’incompatibilité entre les traditions juives et la foi en Jésus Christ. Paul, en bon pharisien, ne pouvait croire en un Messie, un envoyé de Dieu, mort sur la croix. Loin de cacher ou minimiser ces faits peu glorieux, il insiste sur son engagement dans le combat contre la foi qui va se retourner en engagement dans le combat pour la foi. Le fondement de la théologie de Paul se trouve dans cet instant où il découvre un autre visage de Dieu, ce qui transforme complètement son existence.
Paul décrit ici un peu plus précisément l’expérience intérieure qui marque pour lui un nouveau départ. Pour lui, cette expérience est inscrite dans un projet divin qui remonte avant même sa naissance. Paul a été « mis à part dès le sein de sa mère » pour annoncer la Bonne Nouvelle aux païens. Cette expression fait écho à la vocation du prophète Jérémie, connu et consacré dès le sein de sa mère (Jérémie 1,5), et aussi au prophète Esaïe, mis à part dès le sein de sa mère pour aller porter la parole aux nations (Esaïe 49,1). Paul inscrit la nouveauté de la révélation de Jésus Christ dans la continuité de cette tradition prophétique. Il insiste sur l’absence complète de ses propres mérites dans cette vocation, qui est une pure grâce de Dieu. Il a été choisi par Dieu et il n’est pas libre de refuser. Cette non-liberté devient paradoxalement pour Paul une nouvelle liberté : il n’a plus besoin de compter sur ses propres forces
Paul bénéficie d’un véritable dévoilement, sens littéral du mot grec apokalupsis, qui lui fait percevoir le lien unique qui unit le Dieu d’Israël, le Dieu objet de son zèle, avec ce Jésus crucifié. Paul le reconnaît maintenant comme le Fils. « Etre pendu au bois » était une malédiction, selon la loi dans laquelle Paul se perfectionnait (Galates 3,10, Deutéronome 21,23). Il lui était impossible de confondre le Messie, la grandeur divine, avec cet homme mort misérablement. Dans cet acte de Dieu qui ressuscite le crucifié, le révélant comme son Fils, Paul découvre l’échec de la loi qui a conduit à mettre à mort pour blasphème l’envoyé de Dieu. Seule l’intervention de Dieu, de pure grâce, lui permet de comprendre ce qu’il ira jusqu’à appeler « folie ». La révélation de Jésus Christ détruit l’image de Dieu que se faisait Paul. Le Dieu puissant, exigeant et lointain se révèle fragile, solidaire et proche.
Paul lie très étroitement la révélation qui lui fait découvrir la vérité de l’Evangile et la mission qui en découle : annoncer la Bonne Nouvelle aux païens. « Aussitôt » écrit Paul : il y a simultanéité entre la révélation et l’envoi en mission par Dieu et Paul part en « Arabie » (dans le sud de la Transjordanie), c’est-à-dire vers les païens. Paul interprète l’événement de la révélation comme un don reçu en vue des autres, en vue de l’annonce du Christ crucifié. Et cette annonce est destinée à tous, et donc aussi aux païens. En effet, Paul a fait l’expérience que son identité dépend de la personne du Christ, lui est donnée de l’extérieur. Peu importent désormais ses origines juives. C’est pourquoi Paul envisage sa mission de manière universaliste : tous les « marqueurs » d’identité particulière qui fonctionnent dans la société du premier siècle deviennent tout d’un coup caducs au regard du Christ venu pour tous. Paul se fera le défenseur d’un Evangile qui n’est pas réservé à telle ou telle tradition religieuse, à l’homme ou la femme, à l’esclave ou l’homme libre (Galates 3,28)
Paul reconnaît la prééminence des apôtres à Jérusalem. Mais son expérience, sa rencontre avec le Christ lui suffit pour être lui aussi apôtre et partir proclamer l’Evangile sans attendre. Paul se place directement sous l’autorité de Dieu, sans passer par l’autorisation des premiers apôtres à Jérusalem, compagnons de Jésus et témoins de la résurrection. Dans la suite de sa lettre, il fait état de sa venue à Jérusalem mais là encore, il insiste sur le fait qu’il n’a rencontré que Céphas (Pierre) et Jacques, le frère du Seigneur. Son séjour a été bref puisque « les Eglises du Christ en Judée » ne le connaissaient pas. Paul ne veut pas que l’on puisse croire que sa mission en Syrie et Cilicie soit initiée par une décision des apôtres de Jérusalem, ni qu’il ait reçu l’Evangile de quelqu’un d’autre que le Christ lui-même. C’est de Dieu que tout est parti. Paul le prend à témoin pour confirmer la vérité de ce qu’il écrit. La question de l’autorité se pose continuellement dans les lettres de Paul, son autorité sur les communautés et son autorité parmi les apôtres. Comment affirmer détenir la vérité alors qu’il s’appuie sur une intime conviction et qu’il ne peut rien prouver ?