Incarnation - Espace temps
L’appellation » Jésus-Christ » comporte deux termes distincts : d’abord, un nom propre, Jésus, que porte un individu particulier ; ensuite, un titre, Christ, qui correspond à une fonction. Quand les chrétiens confessent que Jésus est le Christ, ils déclarent qu’en lui, par lui, Dieu les rencontre, entre en communion avec eux et fait naître en eux une vie nouvelle. Les théologiens ont cherché à articuler ces deux termes : Jésus et Christ. La théologie protestante a donné deux sortes de réponses :
- Le Christ est totalement et uniquement en Jésus
-
Jésus est bien totalement Dieu, mais pas la totalité de Dieu.
Ces débats soulèvent plusieurs interrogations et notamment celle de l’exclusivité de Jésus-Christ, à savoir si l’homme n’a accès à Dieu qu’à travers lui ou non. Si l’enseignement du Nouveau Testament affirme que » nul ne connaît le Père si ce n’est le Fils, et celui à qui le Fils veut le révéler » (Matthieu 11,27), les théologiens cherchent encore à comprendre si dans » le Fils « , il y a » tout Dieu » ou non.
Cette réponse à l’articulation des termes Jésus et Christ est nommée intra lutheranum (la présence de Dieu peut exister dans la matérialité) parce qu’elle s’inscrit plutôt dans la ligne de la tradition luthérienne. Elle déclare que le Christ est totalement et uniquement en Jésus. Elle considère qu’il y a pleinement identification entre les deux, ce qui permet de dire indifféremment » Christ » ou » Jésus « , et d’utiliser Christ comme un nom propre. Le Christ ne se produit et ne se manifeste qu’en Jésus de Nazareth. En dehors de lui, Dieu est absent ou invisible ; il ne rencontre et ne sauve les hommes nulle part ailleurs.
Cette réponse à l’articulation des termes Jésus et Christ est nommée extra calvinisticum (la présence de Dieu est toujours en dehors des choses matérielles), parce qu’elle est plutôt issue de la théologie de Calvin. Elle considère que Jésus est bien totalement Dieu (totus Deus), mais pas la totalité de Dieu (totum Dei). Dieu ne se confine pas en un seul lieu, il se révèle et intervient en quantité d’endroits. Même si Jésus est le Christ par excellence, il y a du » christique » en dehors de lui. On reconnaît alors une indépendance limitée et une relative distinction entre le Christ et Jésus. Le Christ ne s’enferme pas dans la personne humaine de Jésus de Nazareth. Il agit et se manifeste autre part, dans la nature, dans la raison, dans les autres religions dont Calvin pensait qu’elles ont » des lueurs confuses » de Dieu.
La théologie ne prétend pas » décrire » Dieu, mais cherche à comprendre ce qu’on peut en savoir ou en croire. Ainsi, s’est rapidement posée la question de la nature de Jésus. S’il est bien l’incarnation de Dieu, alors de quoi est-il donc fait ? Le christianisme classique a fini par répondre que Jésus était de même nature que son Père (Dieu), tout en étant réellement un homme.
Les mots » chair « , » corps » et » âme « , traduisent les mots hébreux et grecs les plus répandus à l’époque de Jésus pour définir ce qu’est un homme. Le tableau ci-dessous fait apparaître deux anthropologies, deux façons différentes d’exprimer ce qu’est l’être humain :
Hébreu |
Grec |
Latin (et français) |
basar |
sarx |
caro (chair) |
néfesh |
psychè |
anima (âme) |
rouah |
pneuma |
spiritus (esprit) |
Les premiers auteurs chrétiens héritent des deux anthropologies hébraïque et grecque. Ils ont dû composer avec elles. Le dualisme grec corps/âme est selon eux inexact, car il divise l’être humain en deux parties : matière/esprit et brise l’unité de la personne vivante, se révèle incompatible avec la notion biblique de résurrection de la chair. Le mot « chair » n’a pas ici le sens courant de matière organique, car toute la personne humaine est promise à la résurrection. Dans l’Ancien Testament, tout être vivant est donc chair, hormis Dieu. Et dans le Nouveau Testament, les auteurs annoncent que Dieu s’est fait chair en Jésus. Selon cette perspective, lorsque ces auteurs parlent du « corps » de Jésus, il ne saurait être question de le réduire à de la matière organique. En fait, le corps désigne alors le tout de l’être humain : sa chair, son âme et son souffle de vie.
Dans la pensée hébraïque, l’homme n’est pas formé de trois composants, mais regardé selon trois aspects inséparables. Le basar (mal traduit par » chair « ) désigne la condition corporelle, donc fragile et mortelle de l’être humain. Il évoque aussi sa puissance de génération : Adam dit d’Eve qu’elle est » l’os de mes os, la chair de ma chair » ; ils forment ensemble » une seule chair » (Genèse 2,23-24). Ils vont générer à leur tour des êtres vivants, de chair. La néfesh (mal traduite par » âme « ) désigne la gorge, la respiration, donc la vie biologique et même la personne tout entière. L’ensemble basar-néfesh fait l’être humain vivant biologique, l’homme avec ses passions, sa volonté, son intelligence. Cependant, il ne possède pas par lui-même la vie qui vient de Dieu seul. La rouah est le souffle que Dieu insuffle à l’homme pour en faire un être vivant (Genèse 2,7). Cette vie donnée par Dieu ne se réduit pas au biologique et au psychologique, mais elle dépend de sa relation à Dieu : » Tu leur reprends le souffle, ils expirent et retournent à leur poussière. Tu envoies ton souffle, ils sont créés. » (Psaume 104,29-30)
Dans la pensée grecque, l’homme est formé de deux composants (c’est le dualisme). Il y a d’abord le sôma, le corps matériel, corruptible et périssable. Il y a ensuite la psychée, l’âme, le siège des facultés affectives, intellectuelles et spirituelles. Seule cette seconde composante, immatérielle, est comprise comme immortelle.
L’expression » corps du Christ » peut désigner le pain utilisé lors de l’eucharistie (ce mot vient du verbe grec
La Cène est donc le repas communautaire institué par Jésus-Christ (lors de son dernier repas avec ses disciples, voir par exemple Marc 14,22-25) et célébré lors du culte de la communauté. Le pain et le vin distribués aux personnes sont le signe et le mémorial du sacrifice
Dans le monde du Moyen Orient, le sacrifice était le moyen privilégié de relation entre les hommes et Dieu. Les sacrifices étaient signes de reconnaissance (Psaume 107,22), de purification (Lévitique 14,19-22), de rite de passage (Nombres 6,13-17) ou encore de fêtes (Nombres 28,26-31). du Christ sur la croix. Par sa Parole, le pain et le vin deviennent, sous l’action du Saint Esprit, porteurs de la présence du Christ crucifié et ressuscité, source de salut pour celui les reçoit. C’est donc dans la foi et pour la foi que le pain et le vin sont les signes du corps et du sang du Christ.
La compréhension de la Cène a souvent été un lieu de conflit entre les diverses traditions chrétiennes : des différences dans sa compréhension et sa pratique ont, surtout après le 16e siècle, entraîné des séparations d’
Le dialogue œcuménique contemporain a permis de dépasser certains de ces clivages et les Eglises protestantes (luthériennes et réformées) ont pu dire ensemble dans la Concorde de Leuenberg
Par la Concorde de Leuenberg les Eglises luthériennes, réformées et unies européennes se sont déclarées, au printemps 1973, en communion ecclésiale. Cette communion quant à la prédication et à l'administration des sacrements inclut la reconnaissance mutuelle du ministère des pasteurs
. : » Dans la cène, Jésus-Christ le ressuscité se donne lui-même en son corps et en son sang, livrés à la mort pour tous, par la promesse de sa Parole, avec le pain et le vin. De la sorte, il se donne lui-même sans restriction à tous ceux qui reçoivent le pain et le vin. » (Article 18).
L’une des divergences dans la compréhension de la Cène porte sur la question de la réalité et de la manière dont le Christ est présence dans la cène. La compréhension catholique de la transformation du pain et du vin en corps et en sang du Christ (ce qu’on appelle la transsubstantiation) a été vivement contestée par la Réforme. La Réforme luthérienne affirme la présence du Christ in, cum et sub ( » avec, dans et sous « ) les éléments (le pain et le vin), sans chercher à préciser davantage ce mystère. Calvin français né à Noyon. Il a une formation d'humaniste, étudiant les lettres, la philosophie, le droit, l'hébreu, le grec, la théologie en divers lieux universitaires (Paris, Orléans, Bourges)., quant à lui, insiste sur la participation spirituelle du croyant au Christ mort et ressuscité alors que Zwingli C'est le principal Réformateur de la Suisse Alémanique. Après des études latines à Berne, il fréquente les universités de Vienne et de Bâle. refuse l’idée même de la présence réelle (il s’agit simplement de se souvenir).
Les auteurs du Nouveau Testament utilisent plusieurs images pour parler de l’
L’usage de se rendre en pèlerinage sur les lieux mêmes de la vie terrestre de Jésus remonte à Méliton de Sardes qui se rendit en Palestine durant la deuxième moitié du 2e siècle (vers 160) et dont le voyage avait pour but spécifique la recherche des Ecritures. A partir du moment où cessent les persécutions contre les chrétiens dans l’Empire romain, (édit de Milan par l’empereur Constantin en 313 qui fait du christianisme la religion officielle de l’Empire), le voyage vers les lieux » saints » se développe. Le premier visiteur de marque fut Hélène, la mère de Constantin, qui se rend à Jérusalem vers l’an 330. Elle avait alors près de 80 ans. Elle atteint Jérusalem où, après avoir fait faire des fouilles sur le lieu du Calvaire
Du latin cauvaire qui signifie "crâne". Le mot latin a servi aux chrétiens pour traduire "Golgotha" qui signifie "lieu du crâne" (Matthieu 27,33)., elle prétend découvrir la véritable Croix du Christ. C’est à partir de cette époque qu’on érige des basiliques sur les lieux majeurs du parcours terrestre de Jésus, souvent en conjonction avec la proclamation des dogmes lors des conciles, ce qui permet de fixer une sorte de » parcours liturgique » favorisant le développement des pèlerinages. On peut noter que lorsque les conciles ont fixé le dogme de la Trinité
La Bible parle de Dieu comme un Père, elle parle également de son Esprit, et de son Fils, mais ne dit pas grand chose de la nature des relations qui unissent ces trois " personnes ". Le de la Trinité entend définir ces relations. (réaffirmant la pleine humanité de Jésus), les constructions de basiliques, de chapelles se sont multipliées sur les lieux de la Passion.
Aujourd’hui encore, ce genre de voyages est largement pratiqué. Ils réaffirment certainement que c’est bien sur cette terre-là que Jésus a vécu, que Dieu a vécu en homme. Cependant, pour la plupart des théologiens (et notamment réformés) son incarnation ne donne pourtant pas à cette terre un caractère sacré
Les catégories de " sacré " et de " profane " relèvent d'une conception du monde où les lieux, les objets et les êtres sont définis en fonction de leur nature propre, de leur essence. Dans le Nouveau Testament aussi bien que dans l'Ancien Testament, ces catégories s'effacent devant celles de " saint " et de " pécheur " qui définissent l'être humain non pas en fonction de sa nature, mais de sa relation à Dieu..
Lorsqu’on parle du » mystère
Le mot " mystère " vient du grec mystérion qui signifie littéralement " ce qui est fermé, caché ". Ce mot prend un sens particulier dans la littérature chrétienne. de l’incarnation « , on aborde souvent la question de la conception de Jésus. Deux évangiles seulement (Matthieu et Luc) sur quatre s’ouvrent par des récits dits » de la nativité » : ils racontent comment Jésus est venu au monde. Ces récits présentent plusieurs difficultés, mais ils cherchent essentiellement à témoigner que Jésus était bien le Messie attendu par le peuple juif et qu’il était bien le Fils de Dieu.
La personne de Marie, la mère de Jésus, qui apparaît dans ces récits, fait l’objet de profondes divergences entre catholiques et protestants. Quant à la conception même de Jésus, les protestants s’en tiennent généralement à ce qu’en disent les Ecritures. On y parle de conception » par le fait de l’Esprit Saint » (Matthieu 1/18). Cette idée a donné lieu à de nombreux débats voire même d’oppositions. Il n’en reste pas moins que les auteurs du Nouveau Testament ont ainsi cherché à rendre compte de l’incarnation : autrement dit, ils réaffirment par ce langage que c’est bien Dieu qui a pris corps en Jésus.
Selon la religion catholique, il s’agit de vénérer Marie (et non pas de l’adorer car l’adoration ne s’adresse qu’à Dieu). Marie est proclamée comme la » toute Sainte et toujours Vierge Mère de Dieu « , exempte de tout péché, immaculée et montée au ciel en son corps glorieux (Assomption chez les catholiques).
Si aujourd’hui les protestants semblent parfois ignorer Marie, c’est peut-être plus par réaction aux excès de la piété mariale catholique des siècles derniers que dans la continuité de la pensée de leurs fondateurs. Les Eglises de la Réforme s’interdisent de donner à Marie une autre place que ce qu’en disent expressément les Ecritures ; elles s’élèvent avec force contre toute tentative d’exalter Marie, d’établir un parallèle entre elle et le Christ (en parlant de » coopération » de Marie au salut), comme aussi entre elle et l’Eglise. De plus, les dogmes de l’Immaculée Conception
L'immaculée conception de Marie est un dogme de l'Eglise catholique, décrété le 8 décembre 1854 par le pape Pie IX dans sa bulle Ineffabilis Deus. Le dogme signifie que Marie, mère de Jésus-Christ, fut conçue exempte du péché originel. et de l’Assomption
L'Assomption est un dogme catholique selon lequel, au terme de sa vie terrestre, Marie a été " enlevée corps et âme " au ciel. C'est aussi le nom de la fête catholique célébrant cet événement. ne sont pas acceptés parce qu’ils n’ont pas de fondement biblique explicite. La virginité de Marie n’a que peu intéressé les théologiens protestants qui soulignent souvent que dans la Bible, il est explicitement fait mention des frères de Jésus. (Luc 8,20)
Dès le 17e siècle, avec l’apparition des premiers historiens (au sens où on l’entend actuellement), des théologiens s’interrogent pour savoir comment reconstituer la vraie figure de Jésus. Face à ce problème, les théologiens ont réagi de trois manières différentes.
Certains ont décidé qu’a priori dans l’histoire, seul ce qui est rationnel est vraiment historique. Le reste est mythique et ne doit pas être retenu pour reconstituer la vie de Jésus. Le grand danger est ici de faire de Jésus l’homme qu’on veut qu’il soit : on peut projeter sur lui tout ce qu’on veut puisqu’on ne sait presque rien de lui.
D’autres ont cherché à établir quelques éléments de la prédication et de la vie de Jésus à partir de ce que livre l’histoire. La reconstitution sera nécessairement lacunaire. Les images de Jésus qu’on peut en tirer seront donc très diverses. Cette voie mène à découvrir l’impossibilité de fonder sa foi sur une reconstitution de la vie de Jésus.
Enfin, d’autres théologiens ont contesté cette quête de vouloir à tout prix prouver historiquement Jésus. Ils affirment qu’il est illusoire de vouloir fonder sa foi dans l’histoire. Un » savoir » sur la vie de Jésus ne saurait mener à la foi : seul son témoignage, sa prédication le peuvent.