Dieu - Contexte
En 1993, Eric-Emmanuel Schmitt Né en 1960, normalien, agrégé de philosophie, docteur, Eric-Emmanuel Schmitt se fait d'abord connaître au théâtre avec Le Visiteur, cette rencontre hypothétique entre Freud et peut-être Dieu. Rapidement, d'autres succès suivent : Variations énigmatiques, Le Libertin, Mes Evangiles, etc. écrit une de ses premières pièces de théâtre : Le Visiteur. Elle est mise en scène et jouée à Paris où elle connaît rapidement un succès qui lui vaudra plusieurs récompenses. Le Visiteur est une pièce en un acte qui se déroule en temps réel, à Vienne, dans le cabinet du docteur Freud, le soir du 22 avril 1938, c’est-à-dire entre l’invasion de l’Autriche par les troupes hitlériennes (11 mars) et le départ de Freud pour Paris (4 juin). L’auteur précise le contexte : Freud est vieux, fatigué et malade. Sa fille Anna est arrêtée pour être interrogée par la Gestapo. Cette arrestation cherche à faire pression sur Freud et lui soutirer au passage quelque argent – d’origine juive, il est menacé par la politique nazie même si sa renommé internationale semble le protéger encore un peu -. Une fois sa fille emmenée, Freud voit pénétrer par la fenêtre un homme, étrangement élégant, qui se propose simplement de parler avec lui. S’ensuit alors un dialogue entre cet éminent docteur, scientifique acharné et athée, et cet Inconnu dont on suppose qu’il est une de Dieu (bien que son identité véritable ne sera jamais révélée). Leurs échanges abordent les thèmes de la nature de la conscience et de l’inconscience, la place de l’homme dans le monde, la raison du mal ou encore le conflit entre raison et intuition, la foi et l’athéisme. A chaque échange, ce sont deux conceptions qui s’affrontent, chacun laissant l’autre argumenter sa vision du monde, de Dieu et des autres. Le passage proposé ici est un extrait de la scène 10 : scène au cours de laquelle Freud commence à croire que cet Inconnu est Dieu et où ils débattent virulemment sur le mal qui ronge alors l’Autriche et bientôt l’Europe entière – des juifs sont arrêtés dans la rue et emmenés, on ne les reverra plus -. Si la fin de la pièce ne résout pas la question de l’identité de cet Inconnu, elle met un terme à une rencontre entre deux visions de l’homme qui ne cessent, aujourd’hui encore, de s’interpeller. Freud finit par réclamer un miracle pour preuve, il ne l’obtiendra pas et devra, selon l’Inconnu, apprendre que la vie est non pas » absurde, mais mystérieuse « .
Qu’aujourd’hui, en tous cas dans les pays occidentaux, le discours sur Dieu, la notion de Dieu et la croyance en Dieu soient en crise ne fait guère de doute : les religions » traditionnelles » sont en perte de vitesse, Dieu ne » s’impose » plus dans la vie des contemporains et encore moins dans le domaine public. Les chrétiens (en particulier les théologiens et les gens d’Eglise) tentent de réagir. En simplifiant un peu, on pourrait distinguer parmi eux trois attitudes différentes.
- La première consiste à s’en tenir à la tradition : le discours sur Dieu ne doit pas changer des siècles précédents.
- Une deuxième attitude consiste à faire du message des évangiles, un message pour aujourd’hui avec les mots et les conceptions d’aujourd’hui : puisque Dieu a été évacué, il faut parler de l’évangile sans parler de Dieu.
- La troisième attitude se fonde plutôt sur un travail de reformulation du discours chrétien
On considère généralement qu’on peut parler des choses de deux manières : de manière objective (en la décrivant, en énumérant ses caractéristiques qui sont vérifiables ou tout du moins appréhendables), ou bien de manière » relationnelle » (en indiquant ce que cette chose représente ou signifie pour d’autres). Par exemple, on peut dire d’une personne qu’elle est brune (manière » objective « ) et qu’elle est » mon amie » (manière » relationnelle « ). On peut parler de Dieu selon ces deux registres. Souvent, la philosophie et la théologie ont cherché à parler de Dieu » objectivement « . Elles ont alors développé à son sujet des discours à la fois ontologiques (qui décrivent son être) et métaphysiques (parce que Dieu n’est pas un être physique en ce sens qu’il dépasse le monde du sensible et du visible). Ces discours traitent de la nature de Dieu, de son essence, des propriétés qui lui appartiennent en propre et le caractérisent.
Cette approche rationnelle, intellectuelle, a bien sûr sa légitimité. Toutefois, aucun de ces discours ne correspond jamais totalement à ce qu’est Dieu : il dépasse et déborde tout ce qu’on peut dire de lui. Sa réalité ou sa vérité ne se confond pas avec les mots qu’on emploie pour le désigner ou avec le discours qui parle de lui. Ces mots et ces discours ne sont pas entièrement faux ni mensongers : ils contiennent des vérités, mais ne sont pas la vérité. Si Dieu se dit à travers le langage, ce langage reste toujours imparfait et insuffisant pour le dire entièrement. C’est principalement pour cette raison que plusieurs doctrines de Dieu sont possibles et qu’aucune n’est parfaite.
Pour le croyant, » Dieu » est avant tout et principalement celui qu’on adore, celui à qui on se confie, en qui on espère, qui oriente et donne sens à l’existence. Dans ce cas, on parle de Dieu du point de vue de la foi, de manière » relationnelle « , c’est-à-dire qu’on dit ce qu’est Dieu au travers de la relation qu’on a avec lui. Certes, Dieu n’a pas besoin des croyants pour être ou exister objectivement. Cependant, en dehors de sa relation existentielle avec ses fidèles, il est » l’Etre Suprême « , la » Réalité Ultime « , la cause première, mais pas, à proprement parler, Dieu. Dans une perspective relationnelle, c’est le culte que les hommes lui rendent et l’importance qu’ils lui donnent dans leur vie qu’indique le nom de » Dieu « . Même des gens qui nient l’existence d’une transcendance, qui refusent toute idée de » Dieu » ont, en ce sens, un dieu : non pas parce qu’ils croiraient sans en avoir conscience, mais parce qu’il y a nécessairement un idéal, un principe, une cause, une personne ou une chose qui joue un rôle déterminant dans et pour leur existence. Dieu, ainsi compris, est ce qui pour chacun donne sens à sa vie.
Dans cette perspective, s’interroger sur Dieu ne consiste pas tant à débattre de son existence ou de sa nature, mais signifie surtout s’interroger sur le sens de son existence, du monde. A la question du sens de la vie, il n’y a pas de solution définitive à puiser dans un savoir absolu. Le croyant peut y répondre humblement, fragilement chaque jour à nouveau, dans des balbutiements qui renvoient au lien vivant qu’il entretient avec Dieu. Ce lien n’arrête pas la quête de sens en lui offrant des certitudes. Au contraire, il entretient la quête.
La Bible parle d’un Dieu créateur : elle raconte notamment comment celui-ci est à l’origine du monde et l’a créé avec tout ce qu’il contient (Genèse 1). Cette affirmation n’entend pas décrire la réalité des événements qui sont à l’origine du monde (ce serait alors ce qu’on appelle le créationnisme), mais la vérité des relations qui unissent Dieu aux hommes. Selon les théologiens, la doctrine
Mot emprunté au latin classique, doctrina, qui signifie " enseignement, théorie, méthode ". Le mot désigne généralement un ensemble de principes, d'énoncés, érigés ou non en système, traduisant une certaine conception de la foi chrétienne. biblique de la création dirait plusieurs choses de Dieu (et donc du monde). Elle présenterait un Dieu » dynamique « , dont la création ne se limiterait pas à un événement lointain, mais serait une sorte de processus continu. La création serait également perçue comme la marque de l’amour de Dieu : Dieu n’a pas été contraint de créer, il l’a fait pour être un Dieu de relation qui ne veut pas exister pour lui seul. D’autres théologiens insistent sur le fait que la création témoigne de la puissance et de la sagesse de Dieu : à travers la création, l’homme pourrait contempler Dieu s’il n’était pas aussi aveugle.
Les récits de création précisent certains points. D’abord, qu’il ne s’agit pas de diviniser le monde : la doctrine implique une différence radicale entre le Créateur et la créature, entre Dieu et le monde. Elle rejette tout panthéisme, c’est-à-dire tout courant qui tend à diviniser soit le monde en son ensemble soit des éléments du monde. De plus, les textes bibliques qui parlent de la création insistent beaucoup sur la parole (Genèse 1,3 ou Jean 1,1). Ainsi, la primauté n’appartient ni à l’ordre du monde ni à la volonté humaine, mais à la parole de Dieu. A travers ces textes, le croyant peut découvrir qu’il n’est pas autonome, il n’a pas la maîtrise de son existence : parce qu’il est un être créé, il ne peut prétendre à l’autosuffisance. L’homme dépend primordialement de Dieu et plus précisément encore, de sa parole : en elle, se trouverait la vérité première et dernière de sa vie. Dans cette perspective, la création proclame la priorité et la valeur ultime de la parole de Dieu.
La doctrine de la création véhicule un enseignement sur le monde. Elle dit que le monde vient de Dieu, dépend de lui, par conséquent, on ne peut le considérer négativement. Son existence est en elle-même bonne (même si le monde est dégradé, détérioré). Cette position s’oppose à celle du gnosticisme pour qui le monde est par nature opposé à Dieu, intrinsèquement mauvais (on voit dans le corps une prison qui tient l’âme captive et on considère que le salut de l’homme consiste à lui échapper, à fuir le monde). La doctrine chrétienne de la création s’oppose aussi à une vision bouddhiste pour qui l’existence est misère, souffrance et douleur ; il s’agit là aussi de s’en extraire pour entrer dans le nirvana. Pour le christianisme, au contraire, la vie reste fondamentalement un don merveilleux et non une fatalité Le mot provient du latin fatum qui signifie " destin ". Il désigne, comme le destin, une force surnaturelle par laquelle tout ce qui arrive est déterminé d'avance d'une manière inévitable. qui pèserait sur l’homme. Dans ce sens, elle s’oppose enfin à une vision dualiste du monde (vision pour laquelle il existe un dieu du bien et un dieu du mal en conflit dans l’univers).
Le mot » providence
Du latin providentia qui signifie " prévision " et " prévoyance ", le mot n'a pourtant pas gardé ces deux significations. A partir du 13e siècle, le mot se spécialise dans le vocabulaire religieux pour désigner la suprême sagesse par laquelle Dieu conduit tout et prend soin de ses fidèles. » n’apparaît pas dans la Bible. Si la Bible n’emploie jamais le mot, elle affirme par contre que Dieu s’occupe des êtres humains, en particulier de ceux qui l’aiment et qui le servent (Esaïe 45,1-3). On trouve, par exemple, des passages qui décrivent la bienveillance de Dieu : Psaume 121 ou Matthieu 6,25-34. Les chrétiens appellent » providence » cette sollicitude de Dieu qui veille sur les siens. Parler de providence en christianisme, signifie essentiellement que le croyant n’est pas seul dans l’existence. Il n’est pas abandonné à lui-même dans les problèmes et les difficultés qu’il rencontre. La présence aimante de Dieu l’accompagne et l’aide chaque instant. Dans cette perspective, la providence qualifie une relation personnelle et confiante qui se vit dans la foi et où l’homme est appelé à prendre ses responsabilités.
Cette idée d’un Dieu de providence rencontre deux grandes oppositions. La première (et la plus classique) se réfère aux catastrophes naturelles (tremblement de terre, raz-de-marée, ouragans, etc.) : certains théologiens et philosophes estiment que de tels événements sont le mal absolu qui met en cause le plus radicalement l’affirmation de la providence. Dans ce cas, on impute à Dieu une part de responsabilité. La seconde se réfère aux horreurs perpétrées par les hommes (la Shoah, la bombe atomique à Hiroshima, le génocide au Rwanda, etc.) : certains théologiens et philosophes estiment que même si ces événements sont directement imputables aux hommes, Dieu ne les a pas (ou n’a pas pu) les empêcher. Dieu porte, là aussi, une part de responsabilité.
Dieu paraît absent du paysage actuel : il a été évacué de bien des domaines (science, culture, société, etc.). L’être humain s’instaure alors comme son propre fondement, sans autre vis-à-vis que lui-même. Inclure Dieu dans les représentations qu’on se fait de la vie, du monde, de ses relations aux autres est parfois perçu comme une faiblesse : l’homme ne devrait compter que sur lui-même et ne dépendant que de lui-même. Cette conception, menée à son extrême, fait de l’homme son propre dieu : l’homme devient sa propre référence, il prend la place de Dieu. Dans cette perspective, ce qui l’anime ou le dirige est décrit comme une force que l’homme posséderait » en lui « . L’homme se voit alors entraîné dans une course à la survalorisation de lui-même : son corps, ses performances, son pouvoir, son argent, etc. On retrouve cette » supervalorisation du moi » dans les slogans publicitaires : » La victoire est en nous » (pour une marque de sport), » actif à l’intérieur et ça se voit à l’extérieur » (pour une marque de yaourts), » parce que je le vaux bien » (pour une marque de cosmétique) ou encore » à vous d’inventer la vie qui va avec » (pour une marque de voiture).
Parallèlement, on constate une prolifération des croyances. En effet, derrière l’athéisme revendiqué, des dieux apparaissent, sous des masques les plus contradictoires : poussée des intégrismes, dérives sectaires, occultisme et superstitions en tous genres. Ces religiosités présentent souvent Dieu comme étant partout : en l’homme, autour de l’homme, au-dessus de l’homme. Omniprésent et envahissant, il ne laisse plus de place à l’individu pour se tenir debout, différent de lui et des autres. Ainsi, on peut penser que » évacuer Dieu » ne revient pas à » évacuer le divin « . L’homme investit du sacré
L'adjectif " sacré " s'applique à ce qui est consacré à Dieu. Largement diffusé par l'Eglise jusqu'au 16e siècle, il qualifie ce qui appartient à un domaine interdit et inviolable (par opposition à profane) et qui fait même l'objet d'un sentiment de révérence religieuse., du divin, non plus nécessairement dans les religions traditionnelles (qui confessent un Dieu autre, différent et proche de l’homme) mais exactement là où sont ses limites, ses faiblesses.
Dans la Bible, le mal n’est ni créé ni voulu par Dieu : il est présenté comme une conséquence du désordre introduit dans la création par l’orgueil de l’homme, par sa volonté de devenir » comme Dieu « . L’espérance chrétienne réside en grande partie dans l’attente d’un monde d’où le mal aura disparu ; un monde où Dieu, l’homme et la nature seront réconciliés. Dans le Nouveau Testament, Jésus parlera du » Royaume de Dieu « , de cette relation à Dieu qui se traduit par la justice, la paix et la fraternité. A l’image des combats que Jésus a menés contre toute forme de mal, les chrétiens ont aussi pour vocation de lutter contre la violence engendrée par le mal. La foi chrétienne porte l’espérance que Dieu n’est pas absent de ce combat, qu’il lutte contre le mal, aux côtés des hommes. En théologie protestante, il existe quantité de points de vue sur la question du mal. Afin d’en souligner les enjeux, on pourrait distinguer trois grandes manières de poser la question du mal.
- Un premier courant théologique consisterait à réduire la question du mal, c’est-à-dire à affirmer que le mal est moins réel qu’on ne le pense. Le mal ne constituerait pas un problème devant Dieu, il serait comme le revers d’une médaille, une chose nécessaire (parfois même pour concourir au bien) voilà pourquoi Dieu l’a permis.
- Un deuxième courant théologique consisterait à isoler le mal de Dieu, c’est-à-dire qu’on accorde au mal une totale indépendance. L’existence du mal échappe à Dieu, elle ne fait que souligner combien Dieu laisse les hommes libres de choisir entre le bien et le mal. Quant au mal subi, il signe le triomphe ponctuel du mal sur Dieu.
- Un troisième courant consisterait à souligner fortement l’énigme qui règne face au mal, c’est-à-dire qu’on refuse de tenir un discours sur le mal tant il est inexcusable, injustifiable et inexplicable. Généralement, de telles positions font de l’espérance chrétienne le fil conducteur de leur réflexion sur le mal.
Les grandes religions monothéistes (judaïsme, christianisme et islam) sont des religions de révélation : pour elles, l’homme n’a accès à Dieu que parce que celui-ci se révèle à eux. Chacune d’entre elles reconnaît des révélations différentes : Dieu ne s’est pas révélé de la même manière selon un chrétien que selon un musulman ou selon un juif. Les révélations ne sont pas identiques. Par exemple, les chrétiens reconnaissent en Jésus-Christ la révélation la plus importante de Dieu : c’est à travers lui qu’ils connaissent Dieu. Dans cette perspective, il est difficile d’affirmer que toutes les religions ont le même Dieu. La manière dont chacune d’elles témoigne de sa révélation diffère : le témoignage de Mahomet n’est pas le même que celui de Jésus qui n’est pas le même que celui de Moïse.
C’est le dialogue interreligieux qui aide à mesurer les enjeux de ce débat. Le but n’est pas que les hommes croient tous la même chose et en une même vérité, mais qu’ils puissent vivre, ensemble, leurs diverses convictions. Ainsi, le dialogue entre les différentes religions ne cherche pas à » gommer » les différences, mais à les connaître, les comprendre et donc les respecter. Dans ce cas, les religions ne défendent pas l’uniformité, souvent source d’amalgame, mais la diversité, source de richesses. On peut souligner également qu’à l’intérieur même de ces religions, existent différents courants, différentes pensées.
Le croyant peut percevoir Dieu à la fois comme familier et étranger, proche et lointain. Proche, parce que la Bible insiste beaucoup sur l’alliance
L'alliance est un motif central dans l’Ancien Testament. Dieu est présenté comme un Dieu de l'alliance.*, le lien qui unit Dieu et les hommes. Dieu n’est alors pas un être absolu qui se désintéresse de ses créatures, mais il se soucie d’eux et les accompagne. Cette proximité de Dieu se manifeste dans le nom même qu’à plusieurs reprises lui donne le prophète Esaïe 7,14 : Emmanuel, qui veut dire » Dieu avec nous « . Pour beaucoup de théologiens, cette solidarité culmine avec l’ : en Jésus, Dieu rejoint les hommes et devient l’un d’eux. En même temps, le christianisme met aussi l’accent sur la majesté et la souveraineté de Dieu : Dieu ne se confond pas avec les hommes. Il les dépasse, les domine et se situe au-dessus d’eux. Le croyant n’est pas appelé à une relation d’égalité avec Dieu. La communion qui s’établit entre Dieu et le croyant n’abolit pas la distance et la différence qui les séparent.
Il ne s’agit pas forcément de choisir entre solidarité et souveraineté de Dieu. En reprenant un vers du poète Rilke, le théologien Rudolf Bultmann
Originaire du Nord de l'Allemagne, Bultmann fait ses études de théologie à Tübingen, Berlin et Marbourg. IL devient professeur de Nouveau Testament à Breslau, puis à Giessen et enfin à Marbourg où il enseigne jusqu'à sa retraite en 1951. a écrit que Dieu est » le visiteur qui sans cesse va son chemin « . Il est » le visiteur » car il entre dans la vie des hommes et dans le monde, habite leur existence et se solidarise avec eux. » Il va son chemin » car constamment, il échappe aux hommes qui ne peuvent pas l’enfermer.
A la question » où et comment Dieu se révèle-t-il aux hommes ? « , le christianisme a donné quatre grandes réponses. Il ne s’agit pas de trancher entre ces quatre positions : elles ne sont pas toujours incompatibles. Il s’agit plus d’indiquer une dominante (Dieu se révèle surtout ainsi) et non pas d’établir un monopole (Dieu se révèle seulement ainsi).
- Une première tendance consiste à dire que Dieu se révèle dans la nature (par des objets ou des êtres naturels).
- Une deuxième tendance parle de révélation divine dans l’histoire.
- Une troisième tendance affirme que Dieu se révèle par la parole.
- Enfin, une dernière tendance pense que Dieu se révèle directement à l’homme, sans aucun intermédiaire
La théologie s’est interrogée également sur le contenu de la révélation divine : qu’est-ce que Dieu entend révéler aux hommes ? A cette question, on a proposé quatre grandes réponses.
- Selon la première, Dieu révèle des doctrines, des dogmes Vient d'un verbe grec dokein qui signifie " croire ", " décider " et qui a donné dogma : " opinion " ou " décision ". Dans l'usage théologique actuel, le dogme désigne une vérité que l'Eglise pose comme devant être crue..
- Des théologiens ont également soutenu que dans la révélation, c’est Dieu qui se donne à connaître lui-même : il manifeste qui il est.
- Une autre tendance affirme plutôt que Dieu révèle aux hommes la vie authentique, véritable.
- Une dernière position voit dans la révélation essentiellement une promesse : elle annonce ce que le monde et l’être humain sont appelés à devenir par l’action de Dieu
Les chrétiens confessent un Dieu qui se révèle à eux. La Bible contient le récit de ces révélations. Dans l’Ancien Testament, on raconte comment Dieu s’est révélé à son peuple (par exemple, en le libérant de l’esclavage – Exode 12-13 – ou encore en l’aidant dans les épreuves – Ezéchiel 10-11 -), les prophètes sont alors tour à tour annonciateurs de la parole que Dieu veut adresser au peuple. Dans le Nouveau Testament, on rapporte les paroles et les faits de Jésus que les chrétiens reconnaissent comme le fils de Dieu, son . Ils considèrent Jésus comme la révélation la plus aboutie de Dieu. Que dit Jésus de Dieu ? On ne peut répondre à une telle question en quelques lignes (il faudrait en plus que tous les théologiens soient unanimes, ce qui est loin d’être le cas). Pourtant, on peut souligner au moins trois grandes caractéristiques du Dieu de Jésus-Christ, du Dieu des chrétiens:
- Il est un Père
- Il promet un Royaume à venir
- Il parle d’amour
Il l’est déjà dans l’Ancien Testament, mais il le devient de manière particulière dans le Nouveau Testament. En effet, Jésus s’adresse à Dieu en disant Abba (en araméen, la langue que parlait Jésus, cela signifie » Père « ). C’est un lien intime qui les unit et Jésus invite ses disciples à découvrir cette intimité : cette paternité de Dieu est étendue à tous les hommes. La nouveauté de cette relation à Dieu n’échappe pas à l’apôtre Paul qui s’émerveille de cette intimité que l’homme peut avoir avec Dieu (Romains 8,15).
Jésus annonce que le Royaume Le mot grec utilisé dans le Nouveau Testament peut être traduit par royaume, règne ou royauté. Le Royaume de Dieu est là où Dieu règne. de Dieu s’approche. Quand les hommes l’interrogent sur la date de sa venue, il répond : » Le Royaume de Dieu est au milieu de vous » (Luc 17,21). Ce Royaume n’est donc pas l’espoir d’un monde futur meilleur, il est présenté comme une réalité à accueillir aujourd’hui. A la différence du royaume impérial, le Royaume de Dieu se présente comme Jésus se présente aux hommes : telle une rencontre nouvelle entre l’homme et Dieu.
Dans son enseignement, Jésus parle d’un Père qui aime et qui commande d’aimer (Jean 15,9-13). L’amour ne s’articule pas de manière évidente avec le commandement. Celui-ci présente plutôt l’amour comme le lien qui unit Dieu aux hommes et qui donc, unit les hommes entre eux. C’est notamment à travers la mort et la résurrection de Jésus que les théologiens découvrent un aspect éclatant de l’amour de Dieu pour les hommes : incarné en Jésus, il meurt tel un homme, solidaire des souffrances de ce monde, et ressuscite, comme pour manifester que cet amour ne peut être détruit par le mal que les hommes génèrent ou subissent.
La théologie
La théologie désigne l'ensemble des études tentant de tenir un discours sur Dieu. Elle comprend plusieurs disciples (dont l'étude de la Bible et celle de l'histoire) et a pour principale tâche de rendre compte d'une pensée articulant Dieu au monde, à l'Eglise, aux hommes, au temps, etc
. désigne, en son sens étymologique, un discours qui traite de Dieu. Une telle définition reste bien vaste. D’ailleurs, il serait sans doute plus juste de parler des théologies pour en souligner la pluralité. On peut tenter de relever quelques grandes caractéristiques. D’abord, le rôle de la théologie : la théologie élabore des concepts, des règles, des analyses qui permettent de tenir un discours sur Dieu, l’Eglise, Jésus-Christ, l’homme, l’avenir, le monde. La théologie a aussi pour tâche d’analyser et d’interroger les différents discours sur Dieu (qu’ils soient émis par la Bible, l’Eglise ou les croyants).
Ensuite, l’utilité de la théologie : son utilité ne consiste pas à réglementer, à dire ce qui est bien et mal, mais à proposer des outils qui permettent de s’interroger sur Dieu, le monde et l’existence humaine. En principe, les croyants n’ont pas besoin de théologie pour faire confiance à Dieu ou pour aimer leur prochain. Ainsi, on peut tout à fait imaginer que la foi chrétienne se débrouille sans théologie. Le risque encouru serait que la foi se détache complètement du savoir, du comprendre, de la raison ; il serait que le sentiment, l’expérience prévalent sur tout le reste.
La théologie reste un discours humain, elle est fondamentalement ancrée dans son temps, sa culture et son lieu d’origine. Ainsi, il existe des théologies dites » féministes » ou des théologies dites » africaines « . Toutes ces théologies, si variées et parfois même opposées entre elles, ne sauraient enfermer Dieu dans leurs discours : elles ne prétendent pas dire la vérité, mais user de la raison pour aborder la question de la vérité.
Les disciplines de la théologie ont évolué avec le temps. On peut actuellement discerner quatre domaines dans la théologie chrétienne :
- Les sciences bibliques (tout ce qui est en lien avec la Bible, par exemple l’étude du livre des psaumes),
- La théologie historique (tout ce qui est en lien avec l’histoire, par exemple l’étude des guerres de religions),
- La théologie systématique (tout ce qui relève du discours en lien avec les choses du monde, par exemple l’étude de la conception du bien aujourd’hui),
- La théologie pratique (tout ce qui est en lien avec ce que fait l’Eglise, par exemple l’étude de l’enseignement religieux).
Pour ceux qui s’en tiennent à la tradition le discours sur Dieu ne doit pas changer des siècles précédents. Cette réponse est actuellement très répandue dans les Eglises : on peut la qualifier de conservatrice. Ceux qui l’adoptent font un effort d’explication et d’actualisation : ils estiment qu’en étudiant en profondeur les formulations anciennes, on peut en comprendre la justesse et la nécessité. Ainsi, les chrétiens doivent faire un travail de reformulation pour rendre du sens à des doctrines qui apparaissent à beaucoup caduques : on souhaite revaloriser les propos et les pratiques des anciens.
Une attitude consiste à faire du message des évangiles un message pour aujourd’hui, avec les mots et les conceptions d’aujourd’hui : puisque Dieu a été évacué, il faut parler de l’évangile sans parler de Dieu. Ceux qui l’adoptent, estiment que les premiers disciples de Jésus ont compris et exprimé le message évangélique en des termes mythologiques Du grec "muthos" qui signifie "récit", le mythe est un récit fabuleux transmis par la tradition et qui met en scène des êtres qui incarnent sous une forme symbolique des forces de la nature, des aspects de la condition humaine. En cela, les mythes participent à la compréhension du fonctionnement du monde et de la condition humaine. qui correspondaient aux croyances du Proche-Orient antiques, c’est-à-dire à leur époque. Aujourd’hui, le raisonnement consisterait donc à annoncer le message des évangiles en s’adaptant à la culture sécularisée de ce temps. Ils font donc référence à Jésus comme à un homme qui appelait essentiellement à vivre dans le respect des autres en harmonie avec soi-même, sans faire référence à Dieu, à une transcendance. Cette sorte de théologie a beaucoup fait parler d’elle entre 1960 et 1980 : ces mouvements étaient dits de la » mort de Dieu » et préconisaient un » athéisme chrétien « . Ils sont aujourd’hui minoritaires dans les débats théologiques.
En réaction à la crise de la croyance en Dieu s’effectue un travail de reformulation du discours chrétien : si la doctrine est sans conteste critiquable, ce n’est pas pour autant qu’on peut éliminer Dieu. Ainsi, les théologiens cherchent à rendre compte autrement de Dieu. S’il y a des représentations de Dieu difficilement acceptables, il ne s’ensuit nullement qu’il n’y ait pas d’autres représentations possibles. Par exemple, la représentation du système solaire qu’on avait au 1er ou au 16e siècle n’est pas la même que celle d’aujourd’hui : personne n’en a conclu que le soleil n’existe pas. Cette recherche redécouvre et reprend des thèmes bibliques que les représentations classiques avaient souvent négligées ; par exemple, lorsque la Bible présente un Dieu bafoué, tenu en échec (Luc 23,33-43), loin d’une représentation d’un Dieu majestueux et glorieux. Cette position théologique n’entend pas aboutir à des doctrines immuables et intangibles : tous les discours sur Dieu sont des essais pour le dire, aucun n’est parfait.
Les êtres humains ont toujours eu et ont encore des dieux très divers : ils ont différentes conceptions du sens de la vie. Comment distinguer le sens véritable des sens illusoires, trompeurs ? Comment distinguer le vrai Dieu des idoles ? Bien entendu, ces questions n’ont pas de réponses précises. Ainsi, contrairement à ce qu’on pense parfois, une foi sincère et vivante s’accompagne toujours d’un questionnement qui peut aller jusqu’à la rendre chancelante. La foi porte en elle un doute qui la fait parfois vaciller. Ces angoisses, ces perplexités tiennent à la nature même de la foi : elles l’empêchent de virer au fanatisme Le fanatisme désigne un comportement lié à une foi exclusive en une doctrine, une religion ou une cause qui s'accompagne souvent d'un zèle absolu pour la défendre . et à l’idéologie.
Une tendance théologique consiste à dire que Dieu se révèle dans la nature (par des objets ou des êtres naturels). Par exemple, il se révèle à Moïse sous la forme d’un buisson qui brûle sans se consumer (Exode 3,1-10). Cette thèse n’est pas à confondre avec une » connaissance naturelle » de Dieu qui signifierait, elle, que celui qui sait observer la nature et en comprendre le mécanisme obtiendrait une connaissance de Dieu. A l’inverse, cette thèse souligne que l’homme ne peut pas par lui-même connaître Dieu : Dieu reste ici l’initiateur de sa révélation.
Dieu agit et se révèle au travers d’événements que la Bible raconte. Par exemple, Dieu se révèle au peuple d’Israël en le faisant sortir du pays d’Egypte, en le faisant passer de l’esclavage à la liberté (Exode 12-13). Pour les chrétiens, Dieu se révèle essentiellement dans la crucifixion et la résurrection de Jésus qui constituent pour eux le centre de leur foi. Cette thèse ne signifie pas que Dieu se manifeste à chaque instant : il y a des temps forts. L’histoire prépare et annonce ces temps forts qui eux-mêmes marquent l’histoire qui en découle.
Dieu se révèle par la parole : tout doit passer par une parole qui annonce, raconte ou commente la révélation de Dieu. Cette thèse souligne que les grands événements – la crucifixion de Jésus, sa résurrection – n’auraient rien révélé s’ils n’avaient pas été accompagnés et suivis par des paroles : des paroles qui les annoncent, les racontent et les commentent. Si Dieu agissait de manière silencieuse, il n’y aurait pas de révélation. Dans cette perspective, la Bible prend une grande place : la révélation se trouve dans le discours, et non pas dans l’événement que relate le discours. La Bible n’est pas elle-même la révélation, mais elle est porteuse de la parole qui révèle Dieu.
Une tendance théologique pense que Dieu se révèle directement à l’homme, sans aucun intermédiaire. On peut parler ici de mysticisme, au sens de présence immédiate de Dieu. Ce type de révélation ressemble à un tête-à-tête où le croyant entre en communication directement avec Dieu. Cette révélation survient souvent comme l’aboutissement d’un long travail : un travail que Dieu anime et que le croyant entreprend.
Selon une certaine théologie, Dieu révèle des doctrines, des dogmes Vient d'un verbe grec dokein qui signifie " croire ", " décider " et qui a donné dogma : " opinion " ou " décision ". Dans l'usage théologique actuel, le dogme désigne une vérité que l'Eglise pose comme devant être crue.. Il révèle un enseignement et communique un savoir : l’homme découvre le secret de toutes choses. Dans l’Antiquité, les premiers théologiens se prévalaient ainsi de posséder la » vraie philosophie » qui expliquait le monde, l’être humain et Dieu. Au Moyen-Age, les scolastiques Du latin schola qui veut dire " école ". La théologie scolastique est l'enseignement théologique donné au Moyen-Age par les écoles et universités, qui étaient des institutions ecclésiastiques. ont distingué deux éléments dans la révélation : l’acte de Dieu qui rencontre les hommes et le contenu de ses paroles. Le croyant n’a alors accès qu’au contenu, qu’à la parole consignée dans la Bible. Peu de théologiens soutiennent cette thèse aujourd’hui : elle favorise une conception très intellectualiste de la foi qu’elle limite à un contenu doctrinal ; elle entend posséder une vérité qu’aucune science humaine ne saurait remettre en cause et enfin elle tente de faire de la Bible un livre unifié, à la parole limpide (les théologiens sont généralement d’accord pour dire que la Bible est plurielle et pluraliste, pleine d’oppositions qui font sens sans qu’on ait besoin de les nier).
Des théologiens ont soutenu que dans la révélation, c’est Dieu qui se donne à connaître lui-même : il manifeste qui il est. Dans sa révélation, c’est Dieu lui-même qui vient vers les hommes afin d’établir une relation vivante avec eux. Ici, la révélation s’identifie souvent à Jésus-Christ : elle se concentre en lui. La révélation devient donc un événement historique dont témoigne la Bible qui devient une sorte de document de la révélation.
Une tendance théologique affirme que Dieu révèle aux hommes la vie authentique, véritable. Ici, la révélation a pour objet le salut : elle dit comment l’homme est sauvé et ce que signifie » être sauvé « . Là encore, il s’agit plutôt d’une rencontre existentielle avec Dieu mais qui ne donne pas d’informations sur Dieu, la rencontre assure le croyant de la présence de Dieu à ses côtés. L’objet de la révélation n’a alors plus rien d’un » savoir sur Dieu « , mais plutôt d’un » vivre avec Dieu « .
Certains voient dans la révélation essentiellement une promesse : elle annonce ce que le monde et l’être humain sont appelés à devenir par l’action de Dieu. Ici, quand Dieu se révèle, c’est pour délivrer une promesse : Dieu met en marche vers le but qu’il annonce, vers lequel il conduit. Il ouvre le chemin vers son Royaume Le mot grec utilisé dans le Nouveau Testament peut être traduit par royaume, règne ou royauté. Le Royaume de Dieu est là où Dieu règne.. La révélation évoque alors ce qui n’est pas encore, elle se situe en décalage, à distance de la réalité. Elle ne coupe pas du présent, mais incite le croyant à transformer ce présent et à agir pour la réalisation de cette promesse.