Combattre le mal là où il se trouve - Contexte
Dans la société contemporaine, il semble difficile d’admettre que l’être humain ne corresponde pas à l’idéal qu’en brossent les médias, la publicité : jeune, dynamique, entreprenant, rayonnant de santé. Tous les signes qui rappellent la finitude humaine (vieillesse, maladie, handicap, échec professionnel ou relationnel) doivent être cachés. On cherche ainsi à éviter la rencontre avec l’humain dans sa fragilité. On cache le malade pour cacher la maladie. On cache le handicapé pour cacher le handicap, etc. Ce n’est pas seulement la souffrance de ceux qui sont ainsi exclus qui est ignorée, mais c’est la condition humaine elle-même qui est méconnue. Pour accéder à la vie humaine dans sa plénitude, il est indispensable de » mettre au milieu de tous » l’humain âgé, malade, handicapé. Il ne faut pas occulter ces limites qui pourraient devenir les miennes sans que je perde pour autant mon » humanité « . Dans le texte de Marc, Jésus met le malade au milieu, non pas pour exposer la maladie, mais pour que l’entourage réalise que ce n’est qu’au milieu des autres que la finitude humaine peut être assumée.
Le Nouveau Testament présente deux approches de la souffrance qui paraissent contradictoires. Tout d’abord, Jésus apparaît comme celui qui combat de toutes ses forces le mal, la maladie, la souffrance. On parle de la fin des temps attendue et espérée comme celui où la mort et toute souffrance seront abolies. Les paroles poignantes utilisées par l’auteur de l’Apocalypse explicitent cette attente évangélique :
Apocalypse 21,4
Dieu essuiera toute larme de leurs yeux. La mort ne sera plus. Il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni souffrance, car le monde ancien a disparu.
Les guérisons racontées dans les Evangiles font apparaître Jésus comme celui qui s’est résolument placé du côté de ceux qui souffrent pour les soulager. En ceci, il n’y a pas de doute possible : » Dieu n’est donc jamais, pour le Nouveau Testament, du côté du mal ou de la souffrance. Souffrir n’est pas un destin, auquel l’homme devrait consentir par obéissance à la volonté divine. Le Christ n’appelle pas ici à la soumission mais au combat. » (Eric Fuchs) Toutefois, les textes des Evangiles parlent aussi d’une autre forme de souffrance. C’est d’abord celle de Jésus lui-même :
Marc 8,31
Il faut que le Fils de l’homme souffre beaucoup.
Ce » il faut » peut induire en erreur le lecteur ! L’histoire de la réception de la Passion du Christ montre combien il est facile d’interpréter ce » il faut » à la manière d’un destin, principe supérieur qui décide de la vie des humains, etc. Mais qu’en est-il ?
La souffrance du Christ dans les Evangiles, qui le mène jusqu’à la mort, ne relève pas d’un destin inexplicable ou d’une volonté divine de le faire souffrir. Elle apparaît comme conséquence de sa mission : l’annonce même du Royaume d’un Dieu miséricordieux démasque tous les faux dieux que l’être humain sert avec conviction. La souffrance causée est ici la conséquence directe d’un endurcissement de cœur. Le texte de Marc l’illustre à merveille : la guérison -et par là l’annonce d’un Dieu libérateur et non pas légaliste- entraîne directement des intentions de mise à mort de la part des adversaires de Jésus. C’est pourquoi l’on peut parler d’un aspect positif de la souffrance. Non pas parce qu’elle serait méritoire, ou bonne en soi, mais seulement parce qu’elle devient signe d’une fidélité assumée. Jésus est fidèle à Dieu, à sa mission, et c’est pourquoi il supporte la souffrance qu’on lui inflige. C’est pourquoi aussi Jésus annonce à ses disciples, appelés à poursuivre sa mission, que la souffrance se trouvera sur leur chemin aussi longtemps que dure l’endurcissement du cœur des hommes. C’est pourquoi, ajoute Eric Fuchs, l’apôtre Paul peut parler aux Philippiens de l’honneur qu’il y a à souffrir ainsi pour l’Evangile : » Car il vous fait la grâce, pour le Christ, non seulement de croire en lui mais encore de souffrir pour lui, en livrant le même combat que vous m’avez vu mener et que, vous le savez, je mène encore » (Philippiens 1,29s) «
La remarque de Jésus disant que » le sabbat a été fait pour l’homme et non l’homme pour le sabbat » qui se trouve juste en amont réaffirme avec force la perspective dans laquelle Jésus envisage sa mission : s’engager résolument pour l’être humain et contre tout ce qui peut lui nuire. Par conséquent, l’observance de la loi de Dieu ne saurait primer sur la vie, la santé, le bonheur de l’être humain.
Marc 2,23-28
Or Jésus, un jour de sabbat, passait à travers des champs de blé et ses disciples se mirent, chemin faisant, à arracher des épis. Les Pharisiens lui disaient: « Regarde ce qu’ils font le jour du sabbat! Ce n’est pas permis. » Et il leur dit: « Vous n’avez donc jamais lu ce qu’a fait David lorsqu’il s’est trouvé dans le besoin et qu’il a eu faim, lui et ses compagnons, comment, au temps du grand prêtre Abiatar, il est entré dans la maison de Dieu, a mangé les pains de l’offrande que personne n’a le droit de manger, sauf les prêtres, et en a donné aussi à ceux qui étaient avec lui? » Et il leur disait: « Le sabbat a été fait pour l’homme et non l’homme pour le sabbat, de sorte que le Fils de l’homme est maître même du sabbat. »