Protester - Clés de lecture
Dans Alice au pays des merveilles, le personnage principal, Alice, rêve. Son rêve la conduit dans un pays merveilleux où elle finit par se retrouver dans un tribunal face à la reine et au roi de cœur, issus d’un jeu de cartes. Ici, Alice s’oppose à un ordre de la reine selon lequel les jurés doivent rendre leur verdict avant de délibérer. L’auteur précise : Alice « protesta ».
Le verbe « protester » est emprunté au latin protestari qui, dès le 14e siècle, signifie « affirmer », « témoigner » ou encore « attester ». Ce n’est qu’à partir du 17e siècle, que le verbe « protester » se dote d’un second usage, plus courant aujourd’hui, qui signifie « s’opposer » ou « se plaindre ». Parfois, on a tendance à penser que les « protestants » sont ainsi appelés parce qu’ils se seraient « opposés » à l’Eglise catholique romaine. Or, cette dénomination vient du fait que des chrétiens, au 16e siècle, ont « affirmé », « témoigné » de leur foi. Cette nuance permet de souligner qu’au départ, ces « protestants » ne cherchaient pas à se séparer de l’Eglise catholique romaine, mais à proclamer ouvertement ce qu’ils croyaient.
Alice s’indigne face aux comportements abusifs du roi et de la reine de cœur. Malgré les menaces terribles de ce couple infernal, Alice ose parler publiquement. Au risque de se faire couper la tête, Alice tente de faire entendre sa manière de comprendre la justice. Elle ne cherche pas à contrer à tout prix ce tribunal, mais à exprimer ses convictions.
En Allemagne, vers 1529, c’est ainsi que des chrétiens choisissent de dire publiquement qu’ils soutiennent les idées « réformatrices » de Martin Luther. En effet, ce moine prône une théologie nouvelle, il finira par être exclu de l’Eglise catholique romaine. On appelle « protestantisme » l’ensemble des Eglises qui souscrivent aux idées réformatrices de Luther, même si elles ne le font pas toutes de la même manière. Le protestantisme est donc l’une des trois expressions fondamentales de la chrétienté contemporaine, à côté du catholicisme romain et de l’orthodoxie orientale.
Les propos d’Alice déclenchent la colère de la reine de cœur qui ordonne qu’on coupe la tête de cette « petite insolente ». Alice fait preuve de ténacité et de force de conviction : elle ose parler alors qu’elle sait très bien à quoi elle est exposée. Au pays des merveilles, les idées contraires à celle de la reine ne sont guère tolérées.
Aujourd’hui, on aurait tendance à se méfier de ceux qui « protestent », qui « affirment » leurs convictions « d’une voix forte ». Surtout dans le domaine religieux où l’on cherche généralement à articuler le mot « conviction » à celui de « tolérance ». Les religions sont d’ailleurs régulièrement interpellées sur ce point : elles sont soupçonnées de véhiculer de l’intolérance, d’engendrer de la violence, car porteuses de convictions. L’enjeu éthique de ce débat repose essentiellement sur une compréhension de la tolérance qui allie force de conviction et respect de l’autre. Il ne s’agit alors pas seulement d’affirmer une vérité dans l’indifférence ou dans le mépris à l’égard des convictions d’autrui, mais d’argumenter avec l’autre dans le souci commun de rechercher ce qui est bien et ce qui est vrai.
Dans son rêve, Alice boit une potion qui réduit considérablement sa taille ce qui lui permet d’être à la même hauteur que ces créatures étranges qu’elle rencontre. Au cours du procès, sa taille redevient normale : elle domine largement la reine de cœur, simple carte à jouer. C’est alors qu’elle défie ouvertement son autorité : « Qui fait attention à vous ? ». Jusque-là protestataire, Alice s’oppose maintenant plus directement au pouvoir que représente la reine.
La protestation n’engendre pas nécessairement une révolution. Si la protestation peut devenir synonyme de révolte, elle peut maintenir ouvert le débat avec l’autorité ou les institutions qui la représentent. C’est en ce sens qu’on peut aborder la question des liens qui unissent les religions à l’Etat. Par exemple en France, les protestants ont défendu le principe de la laïcité au nom du respect de la liberté de conscience, car ils confessent un Dieu de liberté.
Quelques lignes avant la fin de l’histoire, Alice se réveille de son voyage au pays des merveilles. L’auteur raconte alors qu’Alice se met immédiatement à raconter son rêve. Elle témoigne à sa sœur aînée de ces aventures et des conclusions qu’elle en déduit.
On pourrait s’amuser ici à reprendre le sens littéral du verbe « protester » pour souligner qu’il désigne avant tout une affirmation, un témoignage public. En ce sens, un « protestant » signifie avant tout « un témoin ». En christianisme, cette dimension du témoignage est particulièrement importante : chaque chrétien est appelé à témoigné de sa foi au Dieu de Jésus-Christ. D’ailleurs, historiquement, c’est bien ainsi que les protestants se sont approprié leur propre nom : non pas comme des « opposants » à une autre tradition chrétienne, mais comme des « témoins » de leur propre foi.