Protester - Aller plus loin
La Fédération Protestante de France (F.P.F.) met en avant six affirmations fondamentales issues des convictions des premiers Réformateurs. Il ne s’agit pas ici de doctrines (d’éléments devant être crus), mais plutôt de principes qui constituent les points de repères d’une théologie protestante.
- 1) A Dieu seul la gloire (Soli Deo gloria)
Rien n’est sacré ou absolu en dehors de Dieu. Les Protestants contestent le caractère absolu de toute entreprise humaine. Au nom d’un Dieu de liberté, ils proclament la liberté de conscience de tous les êtres. - 2) La grâce seule (Sola gratia)
La grâce est l’amour gratuit et originel de Dieu pour l’humanité. Indépendamment de ses mérites et autres « œuvres », l’être humain est déjà sauvé. Cette confiance de Dieu le rend responsable. Ainsi aimé, l’homme est apte à aimer son prochain. - 3) La Foi seule (Sola fide)
La foi naît de la rencontre de l’être humain avec Dieu, elle est relation. La foi justifie l’être humain devant Dieu : elle le rend juste aux yeux de Dieu, même s’il est pécheur. La foi est un don de Dieu et non un mérite ou un bien à conquérir par soi-même. - 4) La Bible seule (Sola scriptura)
La Bible est la seule autorité reconnue des protestants qui y voient le livre d’une humanité juive et chrétienne se voulant reliée à Dieu. Par le témoignage intérieur du Saint Esprit, la lecture de la Bible peut conduire à la révélation de Dieu. La Bible contient la parole de Dieu : le croyant est appelé à la lire, la méditer et l’annoncer. - 5) Eglise réformée, toujours à réformer (Ecclesia reformata semper reformanda) Les Églises rassemblent tous ceux qui se reconnaissent dans le Dieu de Jésus-Christ, notamment par le baptême et la Cène. En tant qu’institutions, elles n’exercent pas de médiation entre les fidèles et Dieu. Communautés humaines, elles évoluent sans cesse au rythme de l’humanité.
- 6) Le Sacerdoce Universel (Solus Christus) Chaque baptisé a une place identique dans l’Eglise. Tous sont laïques. Le ministère pastoral ne constitue pas un clergé : le pasteur est celui ou celle dont la formation théologique permet d’animer la communauté. Le témoignage de la foi et de l’engagement dans le monde est donc le devoir de tous les protestants membres des Eglises.
Denimal Eric « Oui, nous sommes protestants », Paris : Presses du Châtelet 2002.
Dans le premier chapitre de ce livre, l’auteur tente de définir ce que signifie « Etre protestant ». Dans cet extrait (p.23-26), il présente le premier trait qui lui semble caractéristique, celui de la relation que les protestants entretiennent avec l’autorité, le pouvoir :
« Le combat qui a consisté à séparer l’Eglise de l’Etat à la fin du 19e siècle et qui a abouti à la loi de 1905, a été largement encouragé par le protestantisme qui avait déjà, au temps de la Réforme et des guerres de Religion, lutté contre le principe synthétique : un roi, une religion.
Le protestantisme est donc obstinément laïque, au nom même de son engagement religieux. Par là, il faut aussi entendre le souci de l’égalité spirituelle entre le clergé et les simples croyants ; c’est ce que l’on nomme « le sacerdoce universel ». Longtemps, le protestantisme s’est élevé contre une Eglise dominatrice et un clergé qui détenait tous les pouvoirs (spirituels et temporels) ; c’est pourquoi il tient tant à briser les hiérarchies ecclésiales.
Cet esprit frondeur fait parfois dire qu’il est anarchiste et indiscipliné. C’est faire peu de cas d’une autre particularité du protestantisme : son sens de la discipline. Parce qu’il est attaché à la Bible, le protestant sait que la soumission au pouvoir est un ordre. Par ailleurs, il rappelle, toujours Bible en main, que le pouvoir est lui-même soumis à Dieu !
Interrogé par Pilate, Jésus lui lança : « Tu n’aurais pas l’autorité que tu as, si elle ne t’avait été donnée par mon Père ! » (Jean 19,11)
Le protestant n’est pas un révolutionnaire, même lorsqu’il est en opposition de pensée avec le pouvoir. Calvin, l’un de ses fondateurs, tenta de l’expliquer à François Ier. Par ailleurs, le synode national des réformés de 1659 avait adressé à Louis XIV un message où il disait en substance : « Votre Majesté étant à l’image de Dieu, notre religion qui nous commande de le craindre, nous ordonne aussi de nous soumettre à votre souveraine autorité. »
Il est arrivé toutefois que les protestants revendiquent une autre parole du Nouveau Testament : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. »Ce fut le cas du pasteur Dietrich Bonhoeffer, de l’Eglise protestante d’Allemagne, qui participa à l’attentat contre Hitler et qui fut pendu pour cela. On pourrait aussi évoquer la figure du pasteur Martin Luther King qui, aux Etats-Unis, s’opposa avec force, mais de façon pacifique, au pouvoir soutenant la ségrégation raciale.
Globalement, le protestant aime la discipline, l’ordre, l’autorité et est généralement loyal à l’égard du pouvoir, dans la mesure où ce dernier n’oublie pas les règles élémentaires de la démocratie. Il est à noter qu’en France, le protestantisme s’est distingué par les hauts fonctionnaires qu’il a donnés à l’Etat. Loyauté à l’égard du pouvoir donc, mais le protestantisme aime aussi la liberté ! Lorsqu’il a réclamé la liberté de conscience et la liberté de culte, il ouvrait la porte à toutes les autres libertés et, par incidence, au libéralisme des sociétés modernes. C’est ce que nous trouvons parfaitement synthétisé par cette remarque importante : « La réforme ne s’est pas faite sur la question de la liberté, mais sur celle de la fidélité à l’Evangile. Cependant, la revendication par la Réforme du libre droit pour chacun de vivre, en conformité avec l’Evangile librement examiné par lui, en dehors de l’autorité de l’Eglise, devait inévitablement faire naître toutes les autres libertés. » La liberté politique en découle. Elle porte en elle l’esquisse de la démocratie et du libéralisme, peut-être même de la république. C’est sans doute l’analyse de Montesquieu lorsqu’il écrit : « La religion catholique convient mieux à une monarchie ; la protestante s’accommode mieux d’une république. »
SCHLUMBERGER Laurent, Dieu, l’absence et la clarté, Lyon Olivétan 2004 p. 13-16 :
« A quoi sert le protestantisme ?
Le protestantisme n’est pas avant tout une tradition confessionnelle. Il ne se définit d’abord ni par une histoire, ni par une généalogie, ni par un corps de doctrine, ni par une appartenance ecclésiastique – même s’il est devenu tout cela aussi et il ne pouvait pas en être autrement. Le protestantisme est d’abord, à sa racine, un mouvement. Mieux : une attitude.
Le mot orthodoxe suggère la soumission droite (c’est ce que signifie sa racine grecque) et donc l’adhésion à une tradition immuable. Le mot catholique suggère une extension universelle (c’est ce que signifie sa racine grecque) et donc une attitude d’englobement. Le mot protestant, lui, se situe d’une certaine manière en opposition fondatrice à la fois à la tradition et à l’universel. Son nom même évoque le refus et l’individu, le refus de ce qui semble aller de soi et donc en même temps l’affirmation de la primauté individuelle. Car si une attitude de refus peut, bien sûr, être partagée par de nombreuses personnes, elle renvoie pourtant nécessairement à un non-conformisme, à un choix personnel, au sens étymologique : à une hérésie. […]
Ce mouvement de refus individuel qu’est le protestantisme, à toutes ses époques, s’appuie en amont sur une conviction affirmative, sur une expérience positive qui fait socle, qui fonde l’expression protestatrice. Quelle est cette expérience ? Je la définirais comme la redécouverte percutante de la pertinence de l’Evangile au coeur du monde présent. Précisons brièvement chaque mot.
Redécouverte. Ni Luther, ni Zwingli, ni Farel, ni les autres Réformateurs n’ont au fond rien inventé. Ce qu’on appelle la découverte réformatrice de Luther n’est qu’une nouvelle compréhension de l’expression : « la justice de Dieu ». Pendant longtemps, Luther avait pensé que cette expression désignait la justice que Dieu fixe comme objectif aux efforts des chrétiens et dont il fallait donc pouvoir se montrer digne. Soudain, il comprit que la justice de Dieu est celle qui est donnée par Dieu au croyant, comme une sorte de préalable gratuit à sa vie nouvelle. Le point de départ de Luther ne fut donc aucunement une idée originale ; il n’a fait que relire autrement ce qu’il lisait depuis des années. Ce qui est vrai de Luther l’est aussi de bien des personnes qui aujourd’hui encore se reconnaissent comme protestantes. Souvent, celles-ci disent avoir découvert qu’en fait elles étaient protestantes depuis longtemps, mais qu’elles l’ignoraient. Le protestantisme n’est donc pas une découverte originale, inédite ; il est de l’ordre de la redécouverte. […]
Redécouverte percutante de la pertinence de l’Evangile. L’Evangile, c’est-à-dire la bonne nouvelle. Le protestantisme, dont on dit qu’il est écrasant de responsabilité et d’austérité, ce qui a été parfois historiquement vrai, est théologiquement et historiquement un message, une attitude ou encore un mouvement joyeux, heureux, libérateur. Et cette joie modifie tout ce qu’elle touche. Reprenons le passage dans lequel Luther explique sa nouvelle compréhension de l’expression « justice de Dieu » : « Alors, je me sentis un homme né de nouveau et entré, par les portes grandes ouvertes, dans le paradis même. A l’instant même, l’Ecriture m’apparut sous un autre visage. […] ». Si l’Evangile de Jésus-Christ est pertinent, c’est par la puissance de transformation qu’il contient. […]
Enfin, j’ai dit que l’expérience qui fonde l’expression protestante était la redécouverte percutante de la pertinence de l’Evangile au cœur du monde présent. […] Cette insistance sur la pertinence dans le monde présent est notre véritable défi aujourd’hui. La Réforme fut pertinente au 16e siècle, mais nous ne sommes plus au 16e siècle. Le monde a changé. Les protestants sont-ils condamnés à répéter, amplifier, affiner un corps de doctrine ? S’en tenir là, ce serait précisément la trahison du protestantisme. Puisqu’à la racine de l’expression protestante il y a d’une part la découverte révolutionnaire d’un nouveau rapport entre l’Evangile et le monde présent, et puisque d’autre part l’Evangile en lui-même n’a rien de plus aujourd’hui qu’hier, il nous faut nous interroger sur l’autre pôle, c’est-à-dire sur les questions, les angoisses, les attentes du monde présent.
Au 16e siècle, la Réforme a redonné sa pertinence à l’Evangile en affirmant que cet Evangile renversait l’angoissante question du salut. Ce fut une extraordinaire libération non pas par la réponse apportée mais par le fait de considérer autrement la question elle-même. Quelle est aujourd’hui la question théologique centrale que nous lisons dans notre monde ? Où se situe le défi le plus grave lancé à la foi chrétienne, qui pourrait simultanément être le lieu de sa pertinence renouvelée ? En quoi l’Evangile nous paraît-il tomber à point, comme il ne l’avait jamais fait auparavant ? Répondre à ces questions, voilà notre tâche et tout particulièrement notre tâche de chrétiens protestants. »