Aimer - Culture
On ne badine pas avec l’amour est un drame romantique d’Alfred de Musset, publiée en 1834. La pièce se déroule en Espagne au 16e siècle : Perdican aime sa cousine Camille (qui sort du couvent). Camille et Perdican refusent de s’avouer leurs sentiments. A force de « badiner » avec leur amour, ils se déchirent et finissent par se perdre l’un l’autre.
Dans la scène 5 de l’Acte 2, Camille préfère retourner au couvent plutôt que de s’abandonner à son amour pour Perdican. Des soeurs lui ont en effet appris à se méfier de l’amour et des hommes. Elles lui ont enseigné un amour si idéalisé qu’il est incapable de supporter la confrontation avec la réalité.
Alfred de Musset, On ne badine pas avec l’amour, Paris : Flammarion, 1999, Acte 2, scène 5 :
« PERDICAN
Tu as dix-huit ans, et tu ne crois pas à l’amour ?
CAMILLE
Y croyez-vous, vous qui parlez ? Vous voilà courbé près de moi avec des genoux qui se sont usés sur les tapis de vos maîtresses, et vous n’en savez plus le nom. Vous avez pleuré des larmes de joie et des larmes de désespoir ; mais vous saviez que l’eau des sources est plus constante que vos larmes, et qu’elle serait toujours là pour laver vos paupières gonflées. Vous faites votre métier de jeune homme, et vous souriez quand on vous parle de femmes désolées ; vous ne croyez pas qu’on puisse mourir d’amour, vous qui vivez et qui avez aimé. Qu’est-ce donc que le monde ? Il me semble que vous devez cordialement mépriser les femmes qui vous prennent tel que vous êtes, et qui chassent leur dernier amant pour vous attirer dans leurs bras avec les baisers d’une autre sur les lèvres. Je vous demandais tout à l’heure si vous aviez aimé ; vous m’avez répondu comme un voyageur à qui l’on demanderait s’il a été en Italie ou en Allemagne, et qui dirait : Oui, j’y ai été ; puis qui penserait à aller en Suisse, ou dans le premier pays venu. Est-ce donc une monnaie que votre amour, pour qu’il puisse passer ainsi de mains en mains jusqu’à la mort ? Non, ce n’est pas même une monnaie ; car la plus mince pièce d’or vaut mieux que vous, et dans quelques mains qu’elle passe elle garde son effigie.
PERDICAN
Que tu es belle, Camille, lorsque tes yeux s’animent !
CAMILLE Oui, je suis belle, je le sais. Les complimenteurs ne m’apprendront rien ; la froide nonne qui coupera mes cheveux pâlira peut-être de sa mutilation ; mais ils ne se changeront pas en bagues et en chaînes pour courir les boudoirs ; il n’en manquera pas un seul sur ma tête lorsque le fer y passera ; je ne veux qu’un coup de ciseau, et quand le prêtre qui me bénira me mettra au doigt l’anneau d’or de mon époux céleste, la mèche de cheveux que je lui donnerai pourra lui servir de manteau.
[…]
PERDICAN
Adieu, Camille, retourne à ton couvent, et lorsqu’on te fera de ces récits hideux qui t’ont empoisonnée, réponds ce que je vais te dire : Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches, méprisables et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées ; le monde n’est qu’un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange ; mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c’est l’union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux. On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux ; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière ; et on se dit : « J’ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j’ai aimé. C’est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui. » Il sort.
L’amour maternel est peut-être le sentiment que la société moderne a le plus « sacralisé » en ce sens qu’on en a fait un amour « parfait », « inconditionnel », de l’ordre du « divin ». On a parlé « d’instinct maternel », de la force et du pouvoir de cet amour. Ce que ressent une mère pour son enfant est si complexe et mystérieux qu’il est sans doute difficile d’en faire « un amour comme les autres ». C’est aussi pour cette raison qu’à la sortie du roman d’Hervé Bazin, largement autobiographique, les lecteurs ont été choqués, bouleversés par son récit. Ce livre retrace l’enfance malheureuse de trois frères abandonnés à la méchanceté de leur mère. Ils la surnomment « Folcoche » (association de « folle » et « cochonne ») et mettront tout en œuvre pour échapper à ses humiliations, ses brimades et sa hargne.
Hervé Bazin, Vipère au poing, Paris : Grasset, 1948, p.33 et.65″
p.33 : « Agée, à la même époque, de trente-cinq ans, madame mère avait dix ans de moins que son mari et deux centimètres de plus. Née Pluvignec, je vous le rappelle, de cette riche, mais récente maison Pluvignec, elle était devenue totalement Rézeau et ne manquait pas d’allure. On m’a dit cent fois qu’elle avait été belle. Je vous autorise à le croire, malgré ses grandes oreilles, ses cheveux secs, sa bouche serrée et ce bas de visage agressif qui faisait dire à Frédie, toujours fertile en mots : « Dès qu’elle ouvre la bouche, j’ai l’impression de recevoir un coup de pied au cul. Ce n’est pas étonnant, avec ce menton en galoche.
Outre notre éducation, Mme Rézeau aura une grande passion : les timbres. Outre ses enfants, je ne lui connaîtrai que deux ennemis : les mites et les épinards. Je ne crois rien pouvoir ajouter à ce tableau, sinon qu’elle avait de larges mains et de larges pieds, dont elle savait se servir. Le nombre de kilogrammètres dépensés par ces extrémités en direction de mes joues et de mes fesses pose un intéressant problème de gaspillage de l’énergie. »
p.65 : « Allons, venez, les enfants, reprit-elle d’un ton neutre. Il faut aller vous laver les mains. »
La manœuvre consistait à nous isoler des témoins. Mme Rézeau se contint jusqu’au palier. Mais là…les pieds, les mains, les cris, tout partit à la fois. Le premier qui lui tomba sous la patte fut Cropette et, dans sa fureur, elle ne l’épargna point. Notre benjamin protestait en se couvrant la tête :
« Mais, maman, moi, je n’y suis pour rien. »
Petit salaud qui l’appelait maman ! Folcoche le lâcha pour se ruer sur nous. Remarquez que, d’ordinaire, elle ne nous battait jamais sans nous en donner les motifs. Ce soir-là, aucune explication. Elle réglait ses comptes. Frédie se laissa faire. Il avait un chic particulier pour lasser le bourreau en s’effaçant sous les coups, en le contraignant à frapper à bout de bras. Quant à moi, pour la première fois, je me rebiffai. Folcoche reçut dans les tibias quelques répliques du talon et j’enfonçai trois fois le coude dans le sein qui ne m’avait pas nourri. Evidemment, je payai très cher ces fantaisies. Elle abandonna tout à fait mes frères, qui se réfugièrent sous une console, et me battit durant un quart d’heure, sans un mot, jusqu’à épuisement. J’étais couvert de bleus en rentrant dans ma chambre, mais je ne pleurais pas. Ah ! non. Une immense fierté me remboursait au centuple. »
Avec ce « baiser » de Rodin, le désir se donne à voir de manière sublimé, comme un geste, comme une présence à l’autre. L’être humain est un être de désir : il ne vit pas seulement d’un objet à consommer mais des mots et des gestes qui disent la présence de quelqu’un d’autre.
On estime que lorsque le petit enfant crie, c’est parce qu’il a faim, il a un besoin élémentaire de nourriture. Mais en réalité le besoin n’est jamais pur besoin. Il est la marque d’autre chose. Quand l’enfant, par ses cris, appelle sa mère, il lui adresse en fait une demande qui ne se réduit pas au seul besoin. Il a certes besoin de nourriture pour calmer sa faim, mais sa demande va au-delà de l’apaisement de la faim. Ce qu’il appelle, ce n’est pas seulement sa mère en tant qu’elle lui donne quelque chose, mais c’est aussi sa mère en tant qu’elle est une présence. Il y a ainsi une faim d’amour qui est aussi demande d’être aimé et qui est tout aussi vitale.
On pense à la parole de Jésus :
Matthieu 4,4
Ce n’est pas seulement de pain que l’homme vivra, mais de toute parole sortant de la bouche de Dieu.
C’est dire que cette approche peut être appliquée au domaine de la foi. Qu’il s’agisse d’aimer Dieu ou un autre, il est toujours question du désir.