Aimer - Clés de lecture
Cette pièce de Shakespeare raconte les amours tragiques de deux jeunes gens : Roméo et Juliette. Leur passion se heurte à la haine que leur famille se voue mutuellement. C’est pourquoi Juliette se lamente en se demandant pourquoi elle aime celui que précisément sa famille lui interdit d’aimer. Malgré tous les obstacles, la pièce célèbre le sentiment amoureux qui unit Roméo et Juliette.
Le sentiment amoureux est aussi célébré dans la Bible. Pour parler de l’amour de Dieu pour les hommes, la Bible compare même Dieu à un fiancé amoureux de sa fiancée Esaïe 62,5 En effet, comme le jeune homme épouse sa fiancée, tes enfants t’épouseront, et de l’enthousiasme du fiancé pour sa promise, ton Dieu sera enthousiasmé pour toi. Sur le plan humain, le sentiment amoureux y est décrit comme extrêmement beau, intense et riche, même s’il comprend de multiples facettes : spirituelle, intellectuelle, psychologique, physique, etc. Cette densité sert parfois à symboliser le lien qui unit Dieu aux hommes. Tel un amoureux transi, Dieu va jusqu’à déclarer à l’humanité : « Je t’aime d’un amour d’éternité » (Jérémie 31,3)
Juliette exprime à Roméo l’amour qu’elle ressent pour lui. Elle sait que cet amour lui est défendu. Pour s’y abandonner, elle veut être sûre que Roméo l’aime pareillement. « Jure de m’aimer » est un appel à la réciprocité. L’expression sous-entend qu’un individu serait capable d’aimer comme s’il pouvait le décider.
En christianisme, l’amour n’est pas perçu comme une initiative humaine, mais comme un don de Dieu.
D’ailleurs, la langue du Nouveau Testament (le grec), connaît trois usages du verbe « aimer » :
– philéô : aimer dans le sens d’être attaché à quelqu’un ou à quelque chose Matthieu 10,37 (Jésus dit) Qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi; qui aime son fils ou sa fille plus que moi n’est pas digne de moi.
– éraô : aimer dans le sens de désirer passionnément (le verbe a donné le mot éros)
– agapaô : aimer inconditionnellement, sans rien exiger en retour Jean 14,21 (Jésus dit) Celui qui a mes commandements et qui les observe, celui-là m’aime: or celui qui m’aime sera aimé de mon Père et, à mon tour, moi je l’aimerai et je me manifesterai à lui.
La Bible reconnaît ces trois manières d’aimer. Elle utilise le dernier verbe (agapaô) pour parler de l’amour de Dieu. En effet, les croyants se reconnaissent aimés de Dieu inconditionnellement. Et c’est cet amour-là qui offre sans cesse la possibilité d’un amour inconditionnel entre les hommes.
Ce qui fait obstacle à l’amour de Roméo et Juliette, c’est leur identité, leur nom. Juliette explique que le nom de Roméo n’est pas tout de lui : son identité, ce qu’il est réellement, ne se résume pas à son nom de famille. Elle aime Roméo pour ce qu’il est, en vérité.
Cette qualité de relation est souvent exprimée dans la Bible qui affirme que l’homme ne peut tisser des liens fidèles avec les autres, avec lui-même et avec Dieu qu’en vivant « en vérité ». Dans l’Ancien Testament, il y a un seul mot pour dire à la fois la vérité et la fidélité (èmèt). La vérité est comprise comme une relation vraie, fidèle, et non une vérité mathématique. Elle ne s’oppose donc pas à l’erreur, mais au rejet, à l’abandon, à l’hypocrisie.
Dans le Nouveau Testament, la vérité est une personne, Jésus, à écouter, à suivre Jean 14,6 Jésus lui dit: « Je suis le chemin et la vérité et la vie. Personne ne va au Père si ce n’est par moi ». C’est donc une façon d’être, de vivre, pas un ensemble de dogmes figés. Au cœur de cette relation, le croyant peut se découvrir aimé de Dieu tel qu’il est, sans condition, et il peut aimer à son tour.
Juliette parle de Roméo en termes élogieux : il est celui qui lui correspond parfaitement. Cette « correspondance » entre deux êtres est souvent présentée comme un idéal de vie amoureuse. Ainsi, la manière dont les différences – souvent visibles – sont vécues dans la société montre que la tendance « naturelle » de l’être humain est plutôt caractérisée par une recherche du « même » et un rejet de la différence. La personne handicapée, celle qui est malade, vieille ou plus simplement, la personne qui ne correspond pas aux critères de beauté actuelle ressent souvent un rejet. L’autre fonctionne comme un miroir de soi-même : si l’image qu’il renvoie ne correspond pas à celle qu’on se fait de soi-même ou correspond à ce qu’on a peur de devenir, on a tendance à rejeter cette image et la personne qui la présente. Vivre la différence au quotidien est ainsi un vrai défi qui interroge l’image que l’être humain a de lui-même.
Roméo est prêt à renoncer à son nom : il consent à éliminer l’obstacle qui l’empêche d’aimer librement Juliette. « Recevoir un nouveau baptême » signifie ici recevoir une nouvelle identité, celle que lui donne l’amour de Juliette. Ainsi, Roméo se découvre non plus comme l’héritier d’un clan, d’une famille, mais comme celui qui est aimé de Juliette.
La réponse de Roméo est intéressante à plus d’un titre. D’abord, elle parle d’une nouvelle identité qui se reçoit et qui se donne par amour. Enfin, elle parle d’un amour qui se vit comme une réponse à un autre amour. Ce sont-là deux manières que la Bible utilise pour parler du lien d’amour entre Dieu et l’homme. Dieu accueille le croyant et lui offre une nouvelle identité, celle d’être « son enfant », celui qu’il aime comme un Père. C’est l’amour de Dieu qui dit « qui je suis ».