Violence, de quoi parle-t-on? - Clés de lecture
Une des causes de la violence est la volonté de s’emparer des biens d’un autre, ou de défendre ses propres biens contre la convoitise d’un rival. Dès la petite enfance, les enfants se disputent le même jouet. Derrière la possession de l’objet se cache un enjeu beaucoup plus grand : le pouvoir sur l’autre. S’emparer de l’objet que l’autre possède, c’est prendre possession de l’autre.
Pour autant, peut-on parler de violence quand il y a destruction d’objets sans atteinte à une personne physique ? Un mur tagué, un magasin cambriolé, une poubelle incendiée participent du sentiment d’insécurité et croient désigner la violence comme partout prégnante. Ils ne signifient pourtant pas la même chose selon qu’il s’agit d’un acte visant le propriétaire, d’un acte de vandalisme gratuit, ou encore d’un geste de désespoir.
On ne peut nommer » violence » toute destruction d’un objet. Cela dépend de la relation humaine qui est touchée à travers l’objet. De quoi (ou de qui) l’objet cassé est-il le signe ? Quelle relation est niée quand un bien est attaqué ? Quelle relation est permise quand un bien est ôté ? Cette notion de relation est importante dans la définition de ce que peut être une » violence « .
Faire la guerre, ce n’est pas seulement chercher à s’emparer des biens d’autrui, ou à protéger ses propres possessions. Il s’agit aussi d’imposer à l’autre ses idées. Le peuple vainqueur impose au vaincu ses règles d’organisation, son pouvoir, sa culture. Les croisades, l’inquisition, les guerres de religion, la découverte de l’Amérique, la conquête de l’ouest, la colonisation, ont servi à diffuser des idées, par la force.
La même logique joue dans les relations de personne à personne. Imposer à l’autre ce qu’il doit croire, être, faire, c’est exercer une violence sur lui. Ne voir l’autre qu’à travers ma propre vision, en niant ses particularités, le ramener à » mon » idée, c’est lui refuser d’exister.
La violence n’est ainsi pas seulement du domaine des actes, des faits. Elle est aussi refus du dialogue et de la confrontation de sujet à sujet, de la relation de personne à personne. Nier une idée, une culture, une foi sont des violences très fortes. Ne pas reconnaître sa particularité est un moyen de refuser l’existence d’une personne ou d’un peuple.
Refuser de mettre ses idées en débat, c’est déjà être violent. Tout intégrisme porte en lui les germes du terrorisme. Débattre, au contraire, c’est contrer la violence. C’est ouvrir des espaces de rencontre.
La guerre est, avec le meurtre, la partie la plus visible de la violence. Avec le progrès technique en armements, elle est de plus en plus meurtrière. Avec le développement des médias, elle est de plus en plus spectaculaire. Elle semble conduire l’histoire des hommes, des peuples, des nations.
Alors que tant de violences sont individuelles, la guerre se caractérise par son aspect collectif. Elle est l’oeuvre d’un peuple, d’une nation, d’un Etat, d’un groupe, contre un autre. Elle peut aussi traverser un même groupe, on parle alors de » guerre civile « . Les formes de la guerre varient selon le temps. Après les guerres mondiales, la » guerre froide « , la dissuasion nucléaire, le terrorisme ouvre une nouvelle forme aux guerres du 21e siècle.
La guerre est codifiée, ritualisée. Des réglementations tentent de la contenir : conventions de Genève, interdiction des armes chimiques, intervention de la Croix-Rouge. Elle est précédée d’une déclaration de guerre, suivie d’un armistice ou d’un traité de paix. Elle est commémorée par des fêtes nationales, des défilés, des décorations, des drapeaux…
La guerre est préparée. Une part importante du budget de chaque Etat est consacrée aux dépenses militaires. La course aux armements est une réalité forte de l’économie du 21e siècle.
On essaie toujours de justifier une guerre, d’en faire une violence légitime. Le concept de »
La violence est une expression (ou une négation) de la relation à un autre. Elle est tentative de réduction de l’autre à un objet, négation de l’autre comme autre, comme sujet autonome, doué de parole et responsable de sa vie. La violence est » destruction par quelqu’un d’autre de la capacité d’agir d’un sujet » (Ricoeur, Paul,
La violence est un langage qui dit l’absence de parole, de relation. Le bourreau est gêné si le torturé le regarde dans les yeux. On bande les yeux du condamné à mort qui va être fusillé. L’absence de relation ouvre le champ à la violence. Cette négation de l’autre comme sujet, sa réduction à un objet peut passer par le registre du soupçon, ou par celui du mépris, c’est-à-dire la perversion ou l’absence de relation à l’autre perçu comme rival jusqu’à ce qu’il disparaisse. Le violent peut ainsi croire qu’il a atteint » la totalité qu’il se figure être « . » La violence est aveugle parce qu’elle veut tout ramener au même par la force. Elle nie la parole originaire qui « fait la différence » » (Denis Vasse).
La violence qui nie l’autre en tant que sujet peut être symbolique, ce qui ne veut pas dire hors du réel. La mère peut étouffer d’amour son enfant sans un seul acte physique violent, en l’étouffant dans sa toute puissance sans limite. L’insulte, le mépris, le silence sont des formes de violence symbolique aussi destructrices que des coups, car ils nient l’autre. L’humiliation engendre et prépare les violences futures.
Le droit est la régulation des rapports humains pour éviter que la violence ne les submerge. Certaines des interdictions de la violence par le droit sont universelles, comme celles du meurtre et de l’inceste. D’autres sont liées à un temps, un lieu, une culture donnés ; ainsi en est-il de la peine de mort, abolie ou pratiquée selon les Etats. Le droit autorise en même temps des formes de violence, celles employées par les forces de police, la contrainte pénale, la guerre parfois.
La justice applique le droit en tenant compte des situations. Pour un jury de Cour d’Assises, le même acte n’aura pas la même signification ni la même sanction selon qui l’a commis et dans quelles circonstances : y a t-il des circonstances atténuantes ? Y a t-il légitime défense ? Est-ce un récidiviste ? Un individu qui ne jouissait pas de toutes ses facultés mentales ? La justice est un lieu de débat contradictoire pour trancher au cas par cas la frontière entre le permis et l’interdit, entre la violence autorisée et la violence condamnée.
Le droit est dans la légalité, il applique la loi. Il peut pourtant arriver qu’au regard d’autres références, il ne soit pas perçu comme légitime. S’il favorise la violence, peut-on lui désobéir ?
La violence ne peut pas désigner toutes les situations de vie, sauf à devenir un mot vide de sens. Il est d’autres mots que l’on confond parfois, à tort, avec la violence. Ils peuvent lui être liés, ils n’en sont pas pour autant des synonymes. Il est nécessaire de les distinguer.
Parmi eux, le mot » conflit « . Toute rencontre avec un autre que soi est source de conflit : l’autre met une limite à ma toute-puissance et cela est nécessairement difficile à vivre. La confrontation peut déboucher sur la violence ou au contraire, si elle est régulée, sur la capacité à vivre ensemble. Le conflit apparaît dès la naissance, dès la première rencontre avec un autre que moi. Cela joue entre deux individus comme au sein d’un groupe, d’une société, entre des nations… La violence, c’est le conflit qui n’a pas su se dire, qui n’a pas su se gérer. Le conflit, s’il ne dégénère pas en violence, est le lieu des rapports humains.
D’autres mots sont parfois confondus avec violence, comme la force, l’agressivité ou la contrainte.
Le rapport entre la violence de l’homme et sa nature est très débattu. L’homme est-il violent (ou non-violent) de nature, par instinct comme l’animal ? Ou bien la violence est-elle le fruit de la culture, de la manière de gérer le » vivre ensemble » ? La violence s’apprend-elle, ou bien est-elle intrinsèquement liée à notre personne, dès le début ? Des causes sociales, idéologiques ou psychologiques peuvent-elles rendre violent, » bien au-delà des nécessités biologiques » ?
Le rapport de l’animal à la violence est lui aussi sujet de grands débats. L’animal qui en tue un autre pour le manger commet-il un acte de violence ? Eprouve-t-il de la haine ? Est-il cruel ? A t-il conscience de ce qu’il fait ? Tue t-il pour le pouvoir, comme l’homme ? Selon Konrad Lorenz (L’agression, Paris : Flammarion, 1965), parler de violence à propos des animaux est une vision anthropocentrique. Les prédateurs ne sont pas agressifs envers leur proie, les combats animaux sont très ritualisés, il n’y a pas de destruction d’espèces. La violence entre hommes est d’un autre registre. Cette thèse est très discutée.
Si l’on considère qu’il y a dans la violence un jeu de langage, alors on ne peut mettre sur le même plan la « violence » de l’homme et l’instinct de l’animal.
» Le meurtrier tue parce qu’il ne supporte pas son prochain « , écrit France Quéré dans la conférence dont est extrait le texte d’entrée. Ils deviennent rivaux. La relation à un autre est ainsi posée comme étant partie prenante de la violence. Dans la violence, il y a toujours au moins deux personnes concernées, celle qui commet la violence et celle qui la subit.
» Hostilité » et » inimitié » sont, en latin, les deux façons de nommer le rival, qui peut être
On pourrait définir la violence comme une atteinte à l’intégrité physique, morale ou psychologique d’une personne, causée par la responsabilité d’une autre personne. Cette définition exclut du champ de la » violence » les actes contre la nature ou contre des objets, sauf si à travers eux l’intégrité d’une personne est atteinte, par la mise à sac d’un bien qu’il possède, par exemple. Elle exclut aussi les atteintes à l’intégrité d’une personne qui seraient dues à des causes non humaines : la nature (un tremblement de terre, un loup…), la fatalité, le hasard. La violence ne se limite pas à un acte visible : coups, blessure, torture, meurtre, guerre. Elle inclut les insultes, le mépris, l’isolement. Elle est ainsi liée à une interprétation culturelle : selon la culture dans laquelle on se trouve, la même situation sera qualifiée de violente ou non.
La première violence qui vient à l’esprit, c’est celle du meurtre. Elle nourrit les faits divers, envahit les écrans et fait vendre la presse, sans doute parce qu’elle nous fascine plus que tout autre forme de violence. Elle est spectaculaire. Le meurtre est au départ de nombreux récits fondateurs de civilisation. Dans la Bible, Caïn tue Abel ; c’est le premier meurtre, et c’est le début de la civilisation : juste après, Caïn fonde la première ville (Genèse 4,17). Rome est fondée sur le meurtre de Remus par Romulus. Les récits mésopotamiens de création font naître la terre du combat entre les dieux.
Dans la violence, il y a du meurtre. C’est-à-dire de l’irréparable. La mort. Réelle ou symbolique, mais la mort de l’autre. » La visée de la violence, le terme qu’elle poursuit implicitement ou explicitement, directement ou indirectement, c’est la mort de l’autre – au moins sa mort ou quelque chose de pire que sa mort. » (Paul Ricoeur)
Le meurtre est la mort de l’autre. Mort physique, ou mort relationnelle. On peut en effet tuer l’autre sans lui porter un seul coup, en le laissant vivre physiquement, mais en niant son existence. C’est ce que Ricoeur appelle » quelque chose de pire que la mort « .
La torture joue avec ce » pire que la mort » : elle est négation de l’autre comme sujet, la destruction de ce qui en lui est humain, pour ne laisser vivre qu’un corps vidé de son existence propre. C’est pourquoi le tortionnaire joue avec sa victime, sans la tuer physiquement (ou avant de le faire), pour détruire son humanité.
Le désir de chacun, c’est de » réduire l’autre en esclavage « , écrit France Quéré. C’est-à-dire de le réduire à un objet que l’on vend et achète, que l’on utilise puis que l’on jette, qui n’est soumis à aucune autre loi que le bon vouloir de son maître.
Le mot employé ici, » esclavage « , n’est pas neutre. Il renvoie à une forme de violence qui caractérise l’organisation de nombreuses sociétés. Le monde de la Bible est imprégné de cette dimension sociale, présente dans toute l’antiquité.
Il faut en effet repérer, en deçà de la violence visible, la violence structurelle, celle qui sous-tend une société. Les structures économiques, sociales, politiques peuvent être violentes quand elles nient la personne humaine : tyrannie, esclavage, injustice, discrimination, exclusion… A plus petite échelle, l’organisation du travail dans une entreprise ou le fonctionnement d’une famille peuvent être structurellement violents, quand ils nient à l’employé, ou au conjoint, ou à l’enfant, leur place d’être humain capable de liberté et de responsabilité.
Cette violence structurelle n’est pas toujours visible. La victime l’intègre parfois comme étant » normale « . Pour sortir les Noirs américains de la ségrégation raciale, Martin Luther King a d’abord dû leur faire prendre conscience de l’injustice qu’ils subissaient. Contre la violence structurelle surgit souvent une contre-violence.
Ce mot recouvre différentes situations qu’il importe de distinguer. Violence contre soi, mutilation ou suicide. Violences domestiques, en famille, enfants battus, inceste. Violences de rue, agressions, sentiment d’insécurité. Violences sociales et économiques, violences ethniques, racismes. Violences mafieuses, crime organisé. Violences terroristes, guérilla. Violences d’Etat sur une minorité. Violence d’Etat à Etat, guerre…
Mais on parle aussi de la violence des sentiments, de la violence d’un orage, de la violence d’un parfum. Sans doute le mot est-il trop flou quand il désigne tout et n’importe quoi, qu’il envahit notre quotidien et nous empêche de raisonner. Un problème de vocabulaire se pose dès le début d’une réflexion sur la violence : que décidons-nous d’appeler violence ?
L’éventail de significations du terme » violence » est très large. En français, il contient le mot » viol « . Cela évoque une force négative exercée sur quelqu’un, une souffrance donnée et subie. Dans la violence, il y a du négatif, de la destruction, de la mort. Mais le mot grec
Pour qu’une société se maintienne, il lui faut gérer la violence qu’elle contient. Le fait-elle en luttant contre la violence, ou en utilisant elle-même la violence ? Le rapport entre société et violence est discuté.
Pour certains, la société fonctionne par la violence. Ainsi les rituels initiatiques des sociétés primitives qui meurtrissent physiquement le corps des jeunes, ou bien la violence structurelle développée par les Etats qui surveillent et punissent, ou encore la violence de l’économie et de la lutte des classes.
Pour d’autres, la société est une construction humaine opposée à la violence, destinée à la gérer, voire à lui faire pièce. C’est par exemple la stratégie du » bouc émissaire » développée par René Girard : le sacrifice, en projetant sur un seul les puissances destructives de tous, assure une fonction pacificatrice en expulsant la violence hors du groupe.
L’emploi de la violence pour lutter contre la violence fait aussi l’objet d’appréciations philosophiques différentes.
Pour certains, des formes de violence (police, armée) sont légitimes pour maintenir l’ordre contre une violence plus destructrice. Il s’agit d’un moindre mal. Dans la même logique, mais inversée, la violence peut aider à substituer une société à une autre, c’est le cas des révolutions ou la justification des terrorismes.
Pour d’autres, la violence n’est jamais légitime. Elle contient en elle même les germes de la destruction. » La fin est dans les moyens comme l’arbre est dans la graine « , disait Gandhi
Avocat indien né en 1869. Dans son combat contre le racisme en Afrique du Sud, puis pour l'indépendance de l'Inde, il a développé les principes et les techniques de la non-violence.. Pour créer une société juste et en paix, il faut d’autres moyens que la violence.
Ces mots sont parfois confondus à tort avec violence.
La violence est une forme de force exercée contre l’autre, on parle des » forces de l’ordre « , tantôt pour accuser leur violence, tantôt pour leur reconnaître le rôle de régulateurs de la violence. Refuser la violence peut être une force. On peut s’appuyer sur la force de quelqu’un, comme dans l’aïkido, sport où l’énergie de l’adversaire est utilisée et retournée sans coups. Etre sans force, c’est ne plus pouvoir vivre.
L’agressivité peut être l’affirmation de soi, un signe de vitalité, d’énergie, la capacité à surmonter sa peur. Elle peut être aussi signe d’animosité, tournée vers la destruction, elle bascule alors sur le versant de la violence. La langue anglaise différencie ces deux modes d’agressivité, en appelant la première
La contrainte peut être violence, comme elle peut être régulation de la violence : la loi, l’interdit, la limite, l’éthique
Ce mot est souvent confondu avec celui de morale dont il est proche. L'un et l'autre désignent ce qui permet de déterminer les finalités de la vie humaine, ce qui est bien et mal, bon et mauvais, juste et injuste., la justice sont des contraintes destinées à éviter la violence…