Tout le corps - Espace temps
L’expression plus ou moins spontanée du corps fait indissociablement partie d’une célébration. Toutefois, la place que l’on donne au corps varie beaucoup selon les époques et les sociétés. Ces différences sont aussi liées à des convictions théologiques particulières. Ainsi, et pour rester dans le cadre de la célébration chrétienne, le culte protestant réformé en cherchant à éviter tout ce qui peut ressembler à » se donner en spectacle « , le corps du croyant est présent par le chant et par l’alternance entre la station debout (pour le chant) et assise (pour la prière et l’écoute de la prédication). S’ajoutent certains gestes du pasteur (ou celui qui préside la célébration) : les mains levées et écartées en signe de bénédiction, élévation du pain et de la coupe de vin lors de la Cène. Dans une célébration catholique (et parfois luthérienne), on rencontre le geste de l’agenouillement des fidèles à certains moments de la liturgie. Dans les Eglises orthodoxes, les fidèles s’avancent pour embrasser l’icône. Dans les célébrations des Eglises évangéliques, on prie et chante parfois les mains levées. Dans des Eglises malgaches ou africaines, le geste de l’offrande que l’on dépose ressemble parfois à une véritable danse.
Mais en l’absence de traditions qui seraient acceptées par tout le monde et cadreraient cette place du corps, les débats sont souvent vifs pour savoir comment trouver une place juste du corps dans la célébration. Ces débats peuvent facilement diviser une communauté, car ils touchent à la » chair » dans tous les sens du terme. Les sensibilités sont souvent à vif et il faut en tenir compte pour ne pas bousculer et scandaliser. Toutefois, la notion centrale de l’incarnation et la conséquence qui en résulte pour le croyant (le croyant n’est pas qu’un » esprit « ) devrait toujours à nouveau mettre en débat la place du corps dans la célébration chrétienne.
Dans les sociétés traditionnelles, les marques sur le corps ne sont jamais une fin en soi. Elles ont des valeurs identitaires et disent au cœur même de la chair l’appartenance du sujet au groupe, à un système social, le franchissement d’un seuil dans l’évolution personnelle, le passage à l’âge d’homme, l’accession à un autre statut social, l’entrée dans un groupe particulier, etc. Elles accompagnent des cérémonies collectives ou des rites d’initiation. Elles s’inscrivent dans le processus de transmission et d’intégration dans le cosmos, dans une société donnée et un clan particulier.
Par contre, les marques sur le corps (tatouage, piercing, implants sous-cutanés, etc.) occidentales contemporaines prennent une signification exactement inverse en constituant l’expression strictement personnelle, n’ayant généralement de signification que pour soi, à travers l’invention d’un signe propre. On exprime ainsi un contrôle sur le corps qui apparaît comme un objet à portée de main sur lequel la souveraineté personnelle est presque sans entraves.
Quand, dans la société grecque antique, le stigmate symbolisait l’alliance voire l’aliénation à l’autre, la marque corporelle est aujourd’hui strictement individualisante. Le corps ainsi marqué n’a plus fonction de relier à la communauté et au cosmos, mais d’affirmer une irréductible individualité. Les marques corporelles, que ce soit le tatouage ou l’incision, relèvent d’ailleurs de l’initiative propre de l’individu et non pas d’une exigence de la société auquel il appartient.