Tout le corps - Clés de lecture
Le premier verset de ce chant cherche à situer d’emblée le psaume dans son contexte : David est en fuite devant Saül qui le persécute pour empêcher David de devenir roi sur Israël (ce qui explique les derniers versets qui reprennent le thème de la royauté). Par ailleurs, le désert est un lieu ambigu pour l’être humain. Le mot hébreu (
Le motif de la soif n’étonne pas dans le contexte où se place le psaume : le désert, l’absence d’eau. Toutefois, ici, la soif n’est pas seulement une soif d’eau, mais bien une soif de présence, la soif d’un vis-à-vis. Le » tu » dont le psalmiste a soif est celui de Dieu, qu’il cherche dès le matin, mot-à-mot » de bonne heure « .
Le désir de Dieu et de sa présence se dit d’emblée dans un langage enraciné dans le concret, le corporel. Aussi vitale qu’est l’eau à la vie est la présence de Dieu pour le psalmiste.
Le mot » chair » nécessite quelques explications. L’Ancien Testament ne connaît pas de mot spécifique pour dire le » corps « . Les auteurs utilisent alors le mot » chair « . Le mot hébreu basar peut se traduire en effet par » l’individu tout entier » ou encore par » corps vivant « . Ici, la chair languit après Dieu. Le lecteur comprend que la chair par conséquent ne peut se réduire à la matérialité de l’être humain. La notion de » chair » dans la Bible ne désigne donc ni exclusivement le physique, ni évoque-t-elle la sexualité. La » chair » est créée par Dieu à partir de la poussière. C’est pourquoi, elle est considérée comme vulnérable et fragile. Elle ne peut durer sans que Dieu intervienne continuellement pour la vivifier de son souffle.
C’est pourquoi on n’utilise jamais la notion de » chair » pour parler de Dieu. Le langage biblique lui prête toutefois des aspects corporels ( » Dieu étend sa main « , » Dieu regarde du haut des cieux « ,…). On parle alors de langage » anthropomorphique » (du grec :
Les psaumes célèbrent la vie. La vie de tout être vivant a une grande valeur. Toutefois, on ne rend pas un culte à la vie. Elle n’est pas sacrée en soi. Le psalmiste le constate dans un contexte qui pourrait réduire son désir au seul désir de survivre, de n’importe quelle manière. Il s’écrie en effet : » Meilleure que la vie est ta grâce ! « . C’est une manière de dire » la vie sans ta grâce ne vaut rien « . Pour le psalmiste, sans la présence de Dieu, la vie reste une » terre aride et sans eau « .
Le texte avance sur une lame de rasoir entre deux extrêmes à éviter : ne pas déprécier la vie physique et en même temps ne pas sacraliser pour autant cette vie. Le corps a une grande importance (le corps a été créé par Dieu), mais il n’est pas sacré.
Au moment où le psalmiste déclare que la vie n’est pas un but en soi, le corps devient à nouveau central. Au début du chant, il a servi à exprimer désir et soif de Dieu, maintenant, il trouve sa fonction dans la célébration. Remarquons qu’à la bouche revient une place de choix dans les deux cas. Elle est au centre de la célébration. De la bouche sort la parole, la prière, les cris de louange et ceux de la plainte. C’est par la parole que Dieu lui-même crée dans le récit de la Genèse. La parole de Dieu est intimement liée à l’acte qu’elle désigne. Au moment où Dieu parle, la chose existe : » Que la lumière soit et la lumière fut. » ! Ainsi, la parole de Dieu a une » consistance » différente de celle de l’être humain. Cette dernière ne porte pas toujours à conséquence. Elle n’est pas toujours » incarnée « . C’est cette attitude de l’être humain que les prophètes dénoncent comme mensongère : une parole qui dit mais qui ne fait pas ce qu’elle dit
La prière du psaume s’exprime dans une attitude corporelle, dans la position du corps dans l’espace. Ici, le psalmiste parle de ses mains -plus exactement de ses paumes- levées. La paume levée, la main ouverte est le geste de la louange et de l’intercession, mais aussi celui du serment (ainsi Genèse 14,22). Dans l’Ancien Testament, les mains levées font souvent référence à la présentation des sacrifices d’animaux offerts à Dieu au temple de Jérusalem,. Ainsi, le psaume 141,2 dit : » Que ma prière soit l’encens placé devant toi, et mes mains levées l’offrande du soir. » La compréhension du geste de l’offrande à Dieu devient symbolique avec l’expérience de l’exil à Babylone (597-538 avant JC).
Cette attitude de prière apparaît aussi sur les fresques des catacombes (p.ex. dans la catacombe Priscilla à Rome qui date de la deuxième moitié du 3e siècle) ou sur des sarcophages.
L’expression » en ton nom » signifie » vers toi » ou encore » pour célébrer ton nom « . Au moment même où l’être humain reconnaît sa position de créature de Dieu, son geste n’est pas signe d’abaissement servile. Au contraire, être créature de Dieu est pour le croyant un sujet d’honneur et de fierté.
La graisse et la moelle (parfois traduit par » huile « ) évoquent tout d’abord l’offrande faite à Dieu (en Genèse 4/4 par exemple, Abel apporte des bêtes et leur graisse en offrande). Toujours dans l’Ancien Testament, dans le livre du Lévitique 3/16, on précise même que » toute graisse revient au Seigneur » et un peu plus loin, il est dit :
Lévitique 7,23
» Parle aux fils d’Israël: Tout ce qui est graisse, de boeuf, de mouton ou de chèvre, vous n’en mangerez pas « .
En effet, lors de l’offrande, la graisse est brûlée sur l’autel (Exode 29,13).
Mais d’autres textes citent la graisse d’animaux comme un indice de surabondance et de prospérité confirmant la sollicitude de Dieu à l’égard de son peuple. Ainsi:
Deutéronome 32,12-14a
Le Seigneur est seul à conduire son peuple, sans aucun dieu étranger auprès de lui. Il lui fait enfourcher les hauteurs du pays pour qu’il se nourrisse des produits des champs : il lui fait sucer le miel dans le creux des pierres, il lui donne l’huile mûrie sur le granit des rochers, le beurre des vaches et le lait des brebis, avec la graisse des agneaux, des béliers de Bashân et des boucs, ainsi que la fleur du froment ; le sang du raisin, tu le bois fermenté.
Le psalmiste évoque ici de cette même manière la surabondance de nourriture. Le rassasiement du corps est pour lui directement lié à la présence de Dieu. Ou pour le dire autrement : la présence de Dieu a des répercutions directes sur son corps et sa vie toute entière.
La bouche a une place centrale dans ce psaume. La phrase allie d’une manière étonnante nourriture et chants de louange. On pourrait presque dire que la louange se chante ici la bouche encore pleine ! Une illustration intéressante du lien étroit entre le pain quotidien et la prière quotidienne, du lien indissociable entre spirituel et matériel. L’un et l’autre sont indispensables à la vie du psalmiste
Dieu a-t-il des ailes !? Le langage biblique utilise des anthropomorphismes, c’est-à-dire un langage figuré qui associe à Dieu des attributs, des sentiments et réactions humaines (et parfois animales). Ainsi, on parle de ses yeux, de ses oreilles, de son sommeil, d’une promenade dans le jardin… Ou encore de Dieu qui se repent, qui se met en colère,… A d’autres moments, les textes rappellent pourtant qu’il est interdit de se forger une image de Dieu. Le nom même de Dieu doit rester imprononçable. Comment comprendre que ces deux réalités se côtoient au sein des Ecritures ? On peut dire que c’est une manière de signifier que Dieu est à la fois le Tout Autre, le Créateur de l’univers, et en même temps, il est aussi celui qui se penche avec sollicitude vers sa créature. C’est par ailleurs la multiplicité des images utilisées qui empêche qu’une seule s’impose et devienne pas la même occasion une idole, c’est-à-dire une image figée
Le mot hébreu utilisé signifie plus généralement » le côté droit « . Selon le contexte, on peut traduire » la main droite « . Dans les textes bibliques, droite et gauche ont souvent une portée symbolique. Par exemple, la bénédiction que Jacob donne à ses petits-enfants dans le livre de la Genèse (chapitre 48,13-19) se révèle moindre quand elle donnée par » la gauche » (pour Manassé) que quand elle est donnée par » la droite » (pour Ephraïm). On place à la droite quelqu’un d’important. C’est encore la place du défenseur ( » Je garde sans cesse le Seigneur devant moi, comme il est à ma droite, je suis inébranlable « , Psaume 16/8). La droite de Dieu est d’une manière plus générale signe de soutien et d’appui ( » Tu me donnes ton bouclier vainqueur, ta droite me soutient, ta sollicitude me grandit. » Psaume 18,36).
Le verset ici débute en décrivant le croyant comme » attaché » à Dieu. L’image est parlante : le psalmiste se trouve en effet attaché à et soutenu par Dieu. Cette expérience le rassure et le fortifie. La suite du psaume évoque en effet les ennemis qui ne pourront plus lui faire du mal, Dieu lui-même s’étant engagé à ses côtés.
Le langage » au ras du corps » utilisé par le psalmiste pour décrire sa propre situation l’amène à décrire Dieu dans les mêmes termes.
Une dernière fois, il est question de la bouche. Mais cette fois-ci, il s’agit de celle des adversaires du psalmiste. Ils ne parlent plus ni contre lui ni contre Dieu