Marqué dans la chair - Espace temps
Le texte biblique a été écrit à différentes époques et par différents auteurs. Un même récit peut avoir plusieurs versions. Certaines versions ont disparu, d’autres ont fusionné pour donner le texte actuel. Le personnage d’Abraham présente ainsi de multiples facettes.
Dans une première partie élaborée au moment de l’Exil
Il s'agit de l'époque de la déportation du peuple d'Israël à Babylone. Une première grande déportation a lieu en 722 av.* à Babylone (de 587 à 538 avant J.-C.), Abraham est la figure de l’ancêtre, de l’aristocrate rural, conciliateur, installé dans un pays qui se trouve en Palestine.
Dans une version adaptée aux besoins des exilés qui reviennent à Jérusalem vers 520-515 avant J.-C., Abraham est présenté comme itinérant : il quitte sa patrie située en Mésopotamie pour s’installer en Palestine. Plus tard encore, Abraham bénéficie de la bienveillance d’un roi étranger, ce qu’espèrent les juifs qui préféraient vivre en dehors du pays promis.
La narration de Genèse 17 permet de croire à un avenir possible, quand l’expérience et les circonstances de la vie disent le contraire. Abraham et Sara n’ont pas de descendance, donc pas d’avenir, mais Dieu promet un fils, donc une suite possible.
Pendant la période de l’Exil, Israël est menacé de disparition, il n’a pas non plus d’avenir. Avec Genèse 17, il est possible d’envisager un futur sous la forme d’une communauté, avec des membres reconnus grâce au rituel de la circoncision pour les générations à venir.
A chaque époque, le lecteur peut découvrir qu’Abraham a une vie proche de la sienne. Toutes ces nuances dont le personnage d’Abraham a été investi se retrouvent donc aujourd’hui dans le texte biblique.
Cette carte reconstitue, d’après les indications du texte biblique, les voyages effectués par Abraham, Isaac et Jacob.
Abraham obéit à une voix qu’il a entendue. Il est le premier à percevoir que la vie n’est pas un éternel retour des saisons. Le Dieu qui lui parle n’est pas celui de la fertilité qui s’incarne dans le cycle des saisons, mais c’est un Dieu qui se trouve avant le début et derrière la fin de toute existence. Un Dieu qui ne peut être figé, mais qui accompagne l’homme dans le temps et à travers les pays.
Abraham prend un chemin avec un début et une fin : le chemin de la foi. C’est le chemin qu’a pris et que prend le peuple d’Israël depuis qu’il a entendu la voix de Dieu. Les récits de Genèse, chapitres 12 à 25, ne sont pas une biographie d’Abraham. Mais en racontant les aventures d’Abraham, les enfants d’Abraham racontent leur propre cheminement de foi avec ses hauts et ses bas.
En cas de stérilité de l’épouse, la servante peut être amenée à porter l’enfant du patriarche. On retrouve ce cas de figure avec la descendance de Jacob dans le livre de la Genèse. Cette possibilité est également présente dans un texte législatif babylonien du 18e siècle avant J.-C. appelé le code d’Hammourabi.
Le mot « alliance » est emprunté aux traités de vassalité qui géraient les relations politiques entre les royaumes du Proche Orient Ancien. Devant les dieux, le roi le plus puissant offre l’alliance au plus faible. En échange de la protection du vainqueur, le vaincu se soumet et paie un tribut.
L’alliance que Dieu offre à Abraham s’en inspire mais ne demande pas de contrepartie, de « prix » à payer.
La symbolique du 8e jour comme premier jour de la « nouvelle semaine » est également présente dans le Nouveau Testament. Le Christ ressuscité apparaît à Thomas au huitième jour (Jean 20,26).
On trouve le chiffre huit avec un sens différent dans les lettres de Pierre (1Pierre 3,20 et 2Pierre 2,5) en lien avec Noé. Huit personnes dans l’arche (Noé, sa femme, leurs trois fils et leurs trois belles-filles) symbolisent le monde nouveau qui survivra au déluge.
Dans l’Ancien Testament déjà, la circoncision n’est pas simplement l’opération physique. Il est également question d’une « circoncision des cœurs » (Deutéronome 10,16 ou 30,6 ; Jérémie 4,4). Les auteurs semblent percevoir que la circoncision pratiquée dans la chair peut parfois être comprise comme une opération qui ne touche finalement pas la profondeur de la personne.
La « circoncision des cœurs » essaie de mettre symboliquement en avant l’idée que toute la personne est concernée. La « circoncision des cœurs » enlèverait la couche épaisse qui recouvre le cœur et qui le rend insensible.
Dans les textes de l’Ancien Testament, la « circoncision des cœurs » ne remplace pas pour autant la circoncision dans la chair. Il n’est pas non plus suggéré que la « circoncision des cœurs » serait meilleure ou supérieure.
Le choix de la circoncision comme un signe distinctif peut étonner puisque tous les peuples des pays voisins (à l’exception des Philistins) la pratiquaient. Mais, au moment de l’Exil
Il s'agit de l'époque de la déportation du peuple d'Israël à Babylone. Une première grande déportation a lieu en 722 av.* et des contacts avec les Assyriens et les Babyloniens (qui ne pratiquent pas la circoncision), ce signe prend une signification particulière. Il devient du coup le signe visible de l’appartenance au peuple de Dieu, le signe d’une confession. Il contribue à préserver une identité propre.
En situation d’exil, loin du Temple et d’institutions religieuses, en l’absence de prêtres, ce rite est possible, car il n’a pas besoin d’être accompli dans un lieu spécifique, ni par des personnes spécialement désignées, comme un prêtre. Le cadre domestique suffit.
Au fil des siècles, la circoncision devient le signe par lequel le peuple juif se distingue des autres peuples, alors qu’à l’origine ce n’était pas le cas. La circoncision physique reste encore aujourd’hui largement pratiquée au sein des communautés juives. Même parmi les personnes qui se sont éloignées par ailleurs d’une pratique religieuse régulière.
Il est difficile de dire de manière générale pour quelles raisons la circoncision apparaît dans telle culture et à tel moment. Dans cet extrait de Genèse 17, la circoncision n’est clairement pas une mesure d’hygiène. Elle constitue encore moins un critère d’appartenance « raciale » ou ethnique. Elle est ici interprétée comme un signe : par la circoncision, les hommes attestent accepter l’alliance que Dieu leur offre.
Abraham va avoir une descendance. Ceux qui sont issus de lui et qui viendront après lui formeront une famille. Ils sont appelés à rester ensemble, non pas sur une base naturelle, mais parce qu’ils ont été appelés à garder et à transmettre un accord : l’alliance entre Dieu et Abraham. Sa descendance deviendra porteuse de cette alliance.
L’historien grec Hérodote évoque déjà la pratique de la circoncision en Egypte au 5e siècle avant J.-C. (second livre de son Histoire, paragraphe 37). Par les Grecs et les Romains, la circoncision est considérée comme une mutilation. En effet, dans le monde grec, l’idéal de beauté d’un corps parfait est important. La sculpture représente très souvent des corps d’athlètes nus. Du coup, certains juifs qui participent nus aux exercices du gymnase ont alors recours à la chirurgie réparatrice, ce qui scandalise en retour d’autres juifs.
Il semble que les conquêtes territoriales d’Alexandre le Grand et la diffusion de la culture grecque aient d’ailleurs fait reculer cette pratique.
L’origine de la pratique de la circoncision reste très discutée. Elle a été ou est pratiquée sous des formes diverses en Afrique du Nord et de l’Ouest, en Amérique du sud (Aztèques, Amazonie), en Asie et en Australie (Papouasie, Micronésie, Indonésie).
La circoncision semble faire partie des rites d’initiation ou de passage entre l’enfance et le stade adulte. Les jeunes hommes en âge de procréer sont soumis à des rituels souvent douloureux. L’enfant devient adulte, c’est comme une nouvelle naissance. Bien souvent, il faut prouver son courage pour démontrer ainsi que l’on est digne de faire partie de la communauté des hommes adultes.
Dans le judaïsme, la mention du huitième jour après la naissance détermine le moment de la circoncision.
L’islam retient l’âge d’Ismaël au moment de sa circoncision : treize ans devient ainsi l’âge auquel on procède à la circoncision. Selon les pays, elle est aussi pratiquée à un âge plus jeune.
Dans le Coran, Ismaël, fils d’Abraham, est considéré comme un prophète. La tradition musulmane identifie le fils dans le récit du « sacrifice » d’Abraham à Ismaël, contrairement à la tradition juive qui l’identifie à Isaac (Genèse 22,2).