Marqué dans la chair - Clés de lecture
Abram est le nom du patriarche qui s’appellera par la suite : Abraham. En Genèse 17,5 Dieu annonce ce changement de nom. Quel en est le motif ? D’une manière générale, dans la Bible, le nom dit quelque chose de l’identité de la personne. Abram (qui peut se traduire par : « le père est élevé ») devient Abraham. La première syllabe « ab » signifie « père ». La dernière syllabe se rapproche du mot hébreu pour « multitude ». C’est en tout cas l’explication retenue par le récit lui-même : Abraham signifierait « le père d’une multitude ».
A cause de la stérilité de Saraï, Abram est demeuré sans héritier. Mais Dieu fait alliance avec lui en lui promettant une descendance et la possession du pays déjà au chapitre 15 de la Genèse. Sur l’instigation de Saraï, Abram a eu un enfant avec Hagar, la servante de Saraï : Ismaël est aussi promis à une grande descendance (Genèse 16,10). Au chapitre 17, le récit affirme qu’Abram est bientôt centenaire. La promesse d’une descendance et d’un pays qui lui a été faite par Dieu en Genèse 12 ne s’est que partiellement accomplie : le pays est donné mais la promesse de descendance est restée en suspens. Certes Saraï et Abram se sont donné les moyens d’avoir une descendance grâce à Hagar (Abram est père d’Ismaël), mais il n’a toujours pas de descendance avec sa femme Saraï.
Le texte utilise plusieurs noms différents pour nommer Dieu : le tétragramme C'est par les quatre consonnes appelées "tétragramme" (quatre lettres) YHWH que le Dieu d'Israël est désigné (on trouve aussi YHVH ou IHVH selon les auteurs). Aux quatre consonnes on a ajouté les voyelles du mot hébreu adonaï (mon Maître, mon Seigneur).** YHWH (SEIGNEUR), « Adonaï » (mon Seigneur), « Elohim » (traduit par dieu, mais littéralement, c’est un pluriel : dieux), « El shaddai » (Dieu puissant). Le mot hébreu shaddaï, traduit ici par « puissant », est à l’origine le nom d’une divinité cananéenne. Il deviendra un qualificatif pour le Dieu d’Israël : le Dieu fort.La traduction de ce mot en français par « tout-puissant » est donc inexacte. Elle trouve son origine dans la Vulgate Du latin vulgatus, répandu. On désigne ainsi la traduction latine de la Bible par Jérôme (vers 347-419).** (traduction de Jérôme, Père On désigne ainsi les théologiens des premiers siècles jusqu'aux 7e/8e siècles. En patristique (recherche sur les textes des Pères de l'Eglise), on appelle " Pères Apostoliques " ceux qui succèdent directement aux apôtres.** de l’Eglise, 347-420 ap. J.-C.) qui traduit en effet shaddaï en latin par omnipotens ce qui veut dire tout puissant en français. Dans l’histoire de l’Eglise, la notion de « toute-puissance » est souvent utilisée pour désigner l’action de Dieu. Cela implique l’idée que « Dieu peut tout », sans tenir compte des lois de la nature, de l’action humaine, des contraintes de l’histoire. La notion d’un Dieu « puissant » en revanche indique davantage un Dieu qui soutient l’être humain et l’aide « puissamment » à certains moments. Mais un Dieu fort n’a pas la toute maîtrise des événements.
C’est le mot-clé du chapitre 17. Il revient à treize reprises et désigne ici la relation que Dieu initie avec Abraham et Sara et leur descendance.
On pourrait traduire « alliance » par engagement, serment, contrat, qui implique droits et devoirs. Une alliance est généralement associée à une promesse de la part de Dieu. En Genèse 17, Dieu fait la promesse solennelle à Abraham de lui donner une grande descendance. Le contenu de cette promesse fait écho à Genèse 1,28 et 9,1-7. Pour le lecteur, cette promesse est un rappel de Genèse 12,2 et de Genèse 13,16.En Genèse 17,6, l’alliance mentionne des rois (de même en Genèse 17,16 et 35,11). Il faut penser aux rois d’Israël et de Juda, David et Salomon en particulier. Dans la suite, il sera moins question de rois et de nations que de « descendants », littéralement « semence », un mot qui apparaît sept fois en Genèse 17.
En Genèse 15,18, on trouve une première version de l’alliance faite à Abraham : étonnamment, Dieu s’y engage seul, de manière inconditionnelle et n’attend pas une réponse, un engagement de la part d’Abraham. Alors qu’en Genèse 17, Dieu exige de la part d’Abraham de « garder » cette alliance : « une alliance que vous garderez » (verset 10). La circoncision est le signe de l’alliance et son refus est considéré comme une rupture de l’alliance (verset 14). L’alliance est comme un contrat dont la circoncision est la signature. En ce sens, la conception de l’alliance se rapproche de Genèse 9 où un accent est mis sur l’obéissance humaine.
Dans les instructions données à Abraham se trouve une indication de temps : « à l’âge de huit jours seront circoncis … ». Cette disposition de la circoncision au huitième jour après la naissance ne pourra entrer en vigueur qu’avec Isaac, qui est encore à naître.
Les esclaves acquis à prix d’argent sont adultes et seront donc circoncis à un âge plus tardif que huit jours, en même temps qu’Abraham, Ismaël et les autres membres de la maisonnée. Les garçons nouveau-nés sont ainsi intégrés au peuple par ce signe de l’alliance, et non par le simple fait de leur naissance.
A l’époque de la rédaction du texte comme aujourd’hui, la semaine compte sept jours. Arrivée à la fin du septième jour, elle recommence au début, avec le premier jour. D’une certaine manière, parler du huitième jour fait sortir du déroulement habituel du temps. Le huitième jour correspond ainsi à une réalité d’un autre ordre, différent de celui que nous connaissons. La circoncision au huitième jour renvoie à cette réalité « hors temps » comme signe de l’alliance qui est « pour toujours ».
La responsabilité de circoncire n’est pas attribuée à une personne particulière. La communauté toute entière en est responsable. Ici, la communauté est celle de la maisonnée d’Abraham et c’est lui qui la représente. En hébreu, le verbe « circoncire » au verset 13 est redoublé : « circoncis, ils seront circoncis ». On insiste ainsi sur la nécessité de circoncire également les esclaves, qui n’ont pas d’existence juridique propre. De manière surprenante, ils participent pourtant ainsi à la même alliance qu’Abraham et ses descendants.
Le rituel de la circoncision cherche à signifier l’intégration dans l’alliance. Cette intégration est très large : non seulement les fils de la maison sont héritiers de la promesse, mais aussi les esclaves achetés à prix d’argent, tous les mâles de la maisonnée. Parfois, le signe est même plus large que l’alliance à laquelle il renvoie : Ismaël est le premier à être circoncis (Genèse 17,23) même si Dieu n’établit pas explicitement son alliance avec lui, mais avec Isaac (Genèse 17,21).
Par la suite également, la circoncision ne sera pas réservée aux seuls descendants d’Isaac, tel Jacob qui s’appellera Israël, mais aussi aux descendants d’Ismaël (Genèse 25,12-18). Le chapitre 17 de la Genèse souligne ainsi la grande proximité entre les deux demi-frères qui partagent le même rituel central.
La circoncision de tous les membres d’une maison ne bouleverse pourtant pas les rapports sociaux : les serviteurs et les maîtres restent à leur place. Mais par ce rituel partagé et l’entrée dans la même alliance, le regard sur l’autre se trouve forcément modifié.
La circoncision est le signe visible de la promesse faite à Abraham, comme l’arc-en-ciel était le signe attaché à la promesse faite à Noé (Genèse 9,12-17).
Le texte présente la circoncision comme une question de vie ou de mort. Le lecteur d’aujourd’hui peut avoir des difficultés à comprendre la violence de ces propos.
En fait, l’alliance signifie la vie, la vie avec Dieu, la vie avec les autres. Dans cette perspective, rompre l’alliance est synonyme de mort. Il ne s’agit pas tellement d’une question de punition, mais de constat : hors alliance, il n’y a pas de vie. Rompre l’alliance signifie notamment s’exclure de la communauté : on ne survit pas tout seul, hors de la communauté. C’est ce que constate l’auteur du texte au verset 14 : « celui-ci sera retranché d’entre les gens de son peuple ».
La circoncision liée à la notion d’alliance est tellement importante qu’on peut mesurer à quel point Paul, lui-même circoncis comme tous les juifs, Jésus y compris, choque son auditoire lorsqu’il affirme que l’accueil de Dieu en Jésus s’ouvre aussi aux incirconcis :
Romains 3,29-30 Ou alors, Dieu serait-il seulement le Dieu des juifs? N’est-il pas aussi le Dieu des païens? Si! Il est aussi le Dieu des païens, puisqu’il n’y a qu’un seul Dieu qui va justifier les circoncis par la foi et les incirconcis par la foi.
En Genèse 17,15, Dieu annonce à Abraham que, comme celui-ci auparavant, Saraï changera également de nom et s’appellera désormais Sara. Il donnera un fils à Abraham par l’intermédiaire de Sara, et il la bénira. Ainsi s’accomplira la promesse des versets 5 à 7. A la différence d’Abraham, l’annonce de changement de nom n’est pas faite en direct à Sara, mais par l’intermédiaire d’Abraham. La signification des noms Saraï (« ma princesse ») et Sara (« princesse ») est incertaine.
Dans la Bible, le changement de nom indique toujours un tournant et un nouvel épisode dans la vie du personnage (Jacob-Israël ; Simon-Pierre). Ici les changements de nom interviennent juste avant ce tournant que constitue la naissance du fils.
L’initiative de la bénédiction passe par Dieu et est ancrée dans sa volonté. Dieu va agir en bien pour Sara : elle va devenir mère.
La bénédiction concernant Sara est en lien avec la bénédiction concernant Abraham au chapitre 12 de la Genèse (versets 1 à 3). Cette bénédiction est accompagnée de trois promesses que Dieu accomplira : la promesse du pays, une descendance nombreuse et l’affirmation du soutien de Dieu « Je serai avec toi ».
La bénédiction concerne également Ismaël, le fils qu’Abraham a eu avec la servante Hagar : Dieu lui promet une nombreuse descendance (Genèse 21,13.18) et « est auprès de lui » (Genèse 21,20).
La bénédiction divine et l’action humaine sont souvent liées. Dans le livre du Deutéronome, le rapport entre la bénédiction et l’activité humaine est accentué : si Israël se soumet aux injonctions divines, Dieu bénira son peuple dans tout ce qu’il entreprendra, dans la ville, aux champs, au début et à la fin de la journée.
Plus rarement, un être humain peut être lui-même une bénédiction : Abraham est une bénédiction pour les peuples (Genèse 12,2-3). Le résultat de la bénédiction se manifeste d’abord au travers d’éléments naturels : abondance des récoltes par exemple. Puis la bénédiction atteste de l’intervention divine dans la vie de son peuple : elle porte sur l’accroissement numérique d’Israël. En même temps, la bénédiction ne reste pas dans un cadre étroit au travers d’Abraham : tous les peuples sont bénis.
A l’annonce de la naissance d’un fils, Abraham réagit en « tombant sur sa face » (verset 17), « en riant » et en « se disant en son cœur ». Les deux dernières réactions expriment le doute d’Abraham. Tout comme Sara le fera plus tard en Genèse 18,11-12, Abraham rit et a du mal à croire à la promesse. Il considère qu’il est trop vieux et Sara sa femme également.
Sa réaction est identique à celle de Sara, mais elle contraste avec Genèse 15,6 où le texte affirme qu’Abraham « eut foi dans le Seigneur ».
Le nom d’Isaac qui signifie « celui qui fait rire » leur rappellera, chaque fois qu’Abraham et Sara le prononceront, leur première réaction de manque de confiance. Mais ce nom exprime aussi la joie. Le nom d’Isaac rappelle ainsi le fait que Dieu tient parole malgré les impossibilités humaines et malgré l’incrédulité que cette parole suscite.
A propos de la promesse d’une descendance, le doute amène Abraham à identifier le fils promis à Ismaël. Ismaël pourrait « vivre en ta présence » ce qui signifie : sous la bienveillance et la protection de Dieu. Mais Ismaël est le fils d’Abraham et d’Hagar (la servante de Sara). Or la promesse du fils s’adresse autant à Sara qu’à Abraham.
Ismaël n’est pas pour autant oublié par Dieu : tous les enfants d’Abraham vont hériter. Le verset 20 débute avec un jeu de mots sur le nom de « Ismaël » (= « Dieu entend » en hébreu) et « je t’ai entendu ». Ismaël aussi sera béni, comme Dieu l’avait promis par son messager à sa mère Hagar (Genèse 16,10).
Ismaël suscitera non des « rois » (Genèse 17,6 et 16) à la tête de royaumes, mais des « princes », qui sont des chefs de fédérations de tribus, au nombre de « douze », le chiffre symbolique pour l’ensemble. Ismaël est ainsi l’ancêtre des tribus arabes. Dieu maintient sa promesse commune aux deux : Ismaël et Isaac, mais il établit son « alliance » avec Isaac.
Conformément au verset 12, Abraham procède « le jour même » (Genèse 17,23) à la circoncision d’Ismaël et des mâles de la maisonnée. Il se circoncit aussi lui-même bien que l’ordre ne lui en ait pas été expressément donné.
Le chapitre 17 de la Genèse raconte une relation de proximité entre Dieu et l’être humain.
Dès les premières lignes du livre de la Genèse, Dieu apparaît comme un dieu qui parle et qui est maître de l’univers, un « dieu des cieux et de la terre » (Genèse 1,1-4).
Le verbe « achever » se trouve également tout au début de la Genèse :
Genèse 2,1-2 Le ciel, la terre et tous leurs éléments furent achevés. Dieu acheva au septième jour l’œuvre qu’il avait faite.
L’utilisation du même mot pour une action de création de l’univers et un « simple » dialogue avec sa créature exprime la conviction d’un dieu qui s’occupe à la fois des « grandes choses de l’univers » mais aussi de la relation quasi intime avec l’être humain.