Moïse - Aller plus loin
Le récit s’articule autour de deux envois. Dieu ordonne de partir aux v.10 et 16 qui introduisent de nouveaux acteurs : pharaon, le peuple, les anciens. Cela permet de distinguer trois grandes scènes :
Exode 3,1-9 |
La théophanie de Dieu et le signe du buisson. |
Exode 3,10-15 |
Envoi vers Pharaon. |
Exode 3,16 à |
Envoi vers les anciens. |
La situation d’oppression décrite dans Exode 3,7-8 de manière stéréotypée va servir de modèle à toutes les situations dans lesquelles Israël rencontre des difficultés. Les mêmes termes sont utilisés dans la grande fresque historique d’Israël depuis son entrée en Canaan (12e siècle av. JC) jusqu’à la déportation des Judéens (6e siècle av. JC). Cette histoire est contenue dans les livres de Josué, des Juges, de Samuel et des Rois. Voir par exemple les difficultés d’installation des tribus en Canaan (Juges 3,9-15 ; Juges 4,3s et Juges 6,6s).
Dieu est celui qui fait monter d’Egypte. L’autre grand verbe de l’Exode est « faire sortir ». Ce verbe caractérise l’action de Dieu : dans le prologue du Décalogue, Dieu se présente ainsi : « c’est moi qui t’ai fait sortir d’Egypte ».
Exode 12 à 14, raconte comment Dieu fit sortir les Israélites d’Egypte. Exode 12
Au chapitre 14 du livre de l’Exode, le passage de la mer est raconté à la fois comme un combat dans lequel Dieu arrache Israël à l’Egypte et à la fois comme une création dans laquelle Dieu fait naître Israël du chaos qu’est l’Egypte et la mer. Exode 14,21-23 reprend les images de la création de l’univers de Genèse 1
La tradition de l’Exode nourrit la réflexion des prophètes, la spiritualité des Psaumes (Psaume 78,12-20, Psaume 105
Le livre de l’Exode utilise massivement une expression benéy-yiserâ’él, « les fils d’Israël » pour désigner le peuple. Le personnage principal de l’Exode est Moïse qui a une place prépondérante dans tout le reste du Pentateuque. L’Exode introduit une « vie de Moïse ».
Le livre de l’Exode se présente comme une composition qui relie des éléments narratifs comme la sortie d’Egypte, la vie au désert (Exode 1 à 18, 32 à 34, ), et des éléments législatifs comme le code de l’alliance et les dix commandements (Exode 20-24).
Exode 1-6, |
l’Egypte terre d’oppression |
Exode 7-11 |
la confrontation entre Dieu et pharaon (les 10 plaies) |
Exode 12,1 à |
la sortie d’Egypte culminant avec le passage de la mer |
Exode 15,22 à |
les premières expériences de vie au désert |
Exode 19,1 à Exode 20,21 |
le don de la loi qui s’ouvre par une grande manifestation de Dieu et la proclamation des 10 commandements. |
Exode 20,22 à Exode 23,33 |
le code de l’alliance. Moïse transmet la loi de Dieu |
Exode 24,1-11 |
la conclusion de l’alliance |
Exode 24,12 à |
Moïse est chargé par Dieu d’organiser le culte de Yhwh |
Exode 32-34 |
l’affaire du veau d’or, Dieu renouvelle l’alliance par le don de nouvelles tables |
Exode 35-40 |
La réalisation du sanctuaire. La nuée descend sur la tente de rencontre, lieu de la présence de Dieu. |
Le livre de l’Exode est coloré par trois grands thèmes, la libération, l’alliance et la présence de Dieu au milieu d’Israël, thèmes qui sont déclinés dans les trois grandes parties du livre.
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L’acte libérateur de Dieu en faveur d’Israël fait ressortir l’idée de la souveraineté du Dieu d’Israël sur l’histoire. Le récit du combat de Yhwh contre pharaon illustre la souveraineté de Dieu sur la nation la plus puissante, l’Egypte.
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L’alliance est un motif central dans le livre de l’Exode (Exode 19-24
). Elle dit le lien privilégié entre Dieu et Israël dans une relation contractuelle. Dieu et Israël sont engagés l’un envers l’autre comme un vassal est lié par des obligations à son suzerain. Derrière la représentation de l’alliance dans le livre de l’Exode, il y a les traités de vassalité qui réglaient les relations diplomatiques du Proche Orient Ancien. En utilisant cette forme de contrat, les auteurs bibliques assurent Israël qu’il ne dépend que d’un seul suzerain, Dieu lui-même. -
La présence de Dieu au milieu d’Israël. Comment Dieu peut-il être et habiter au milieu d’Israël ? Ce motif important est lié à la construction de la tente de la Rencontre (Exode 25-40
) et décrit les conditions de cette présence, notamment avec l’holocauste et la médiation des prêtres.
Le livre de l’Exode est une oeuvre très élaborée, objet d’un travail de relecture important. Pour comprendre la croissance du livre de l’Exode jusqu’à son état final, il convient de séparer Exode 1-24 etExode 25-40 .
En Exode 1-24 il y a deux parties Exode 1-18 et Exode 19-24
L’ensemble Exode 25-40
Dans le cadre d’Exode 1-6
La deuxième intention du texte est d’indiquer comment Dieu est Dieu malgré l’Egypte et l’esclavage des Israélites et comment Il est le Dieu d’Israël. Dieu manifeste sa divinité par la domination de l’Egypte, qui témoigne de sa suprématie. La relation unique à Moïse est l’image de la relation privilégiée que Dieu revendique auprès d’Israël qu’il appelle « mon peuple ». Cette relation s’instaure par le service sur la montagne et la conduite vers un pays différent de l’Egypte. Moïse témoigne de l’unité du Dieu d’Israël et actualise la présence active au milieu d’Israël. La révélation du nom de Dieu indique qu’il est le Dieu du passé, du présent et de l’avenir d’Israël.
L’intention générale est attachée à l’état final du texte tel que la Bible le transmet. Mais il est à noter qu’une lecture attentive fait apparaître des incohérences et des répétitions. Ce passage ne fut par écrit d’un seul jet et par une seule main. Il y a écriture et réécriture à différentes époques par des compositeurs de sensibilités diverses qui ont conduit à l’établissement du passage tel que nous le connaissons.
La mention de l’ange pourrait être un ajout au texte original pour éviter d’assimiler Dieu à des phénomènes naturels ou surnaturels comme l’atteste 1Rois 19,11s. Le buisson est rapproché parfois du symbole de l’arbre, symbole utilisé au Proche Orient Ancien pour signifier la régénération de la nature et de la vie renaissante. L’association buisson / feu peut être liée à l’Arbre de vie et a pu servir de fondement et de justification à l’usage d’un objet cultuel bien connu, le chandelier à sept branches (Exode 25,31-38) ou ménorah, symbole du mythe de l’Exil et de l’espoir de salut (voir aussi 1Rois 7,49 où il est question de ménorot comme mobilier du premier temple). En d’autres temps, la ménorah fut le symbole de la renaissance nationale. C’est une manière de légitimer un symbole cultuel traditionnel du judaïsme en le liant à un épisode de la vie de Moïse, alors que le Judaïsme a rejeté toute représentation.
Exode 3,5-6 permet d’anticiper toute la construction de la demeure sainte qui sera au milieu des Israélites comme un Sinaï (une montagne de Dieu) portatif. La séparation entre le sacré et le profane renvoie à la symbolique du temple. Il y a un centre, Dieu, où se « concentre » sainteté et pureté et une périphérie dans une relation plus ou moins lointaine selon le degré de sainteté. La « sainteté » est un thème que l’on trouve essentiellement dans le Lévitique. Le terme vient de la racine q(a)d(o)sh qui signifie selon les conjugaisons « être pur, saint » ou « sanctifier ». Cette notion fait partie d’un fond commun du Proche Orient Ancien. Elle est à comprendre d’abord dans un sens rituel et cultuel, car elle est attachée à la relation à Dieu. En effet la sainteté est une manière de qualifier Dieu (Lévitique 11,45 ; Lévitique 19,2…) et ce qui lui est propre, son Nom, Lévitique 20,3. La notion de sainteté exprime l’altérité et la transcendance de Dieu. Elle qualifie tout ce qui lui est proche, le sanctuaire, le mobilier, les prêtres (Lévitique 8,9s, Lévitique 15,30 ; Lévitique 21,6s). Elle qualifie aussi l’institution du Sabbat, et les fêtes : Lévitique 23,1s. Elle devient même une exigence « démocratisée », collective et nationale, Lévitique 19,2. Cette exigence peut être une menace puisque s’approcher sans précaution rituelle particulière entraîne la mort, Lévitique 10,1-3. Cette notion centrale est proche des notions d’impur et de pur (Lévitique 11-15
Dieu est saint, il est même la source de la sainteté, il ne peut donc être en contact avec l’impur. Les prêtres sont chargés de réguler le pur et la relation à Dieu, la pureté étant un état nécessaire pour rendre un culte à Dieu. Cela détermine trois centres dont la réalité doit être séparée du reste d’Israël : prêtres, sacrifices et sanctuaires. Ces cercles définissent des frontières et un rapport à la sainteté qui va du plus vers le moins. Le terme qdsh portant la signification « mis à part pour Dieu » est réservé à certains lieux, certaines personnes et certains temps. La structure du second temple (après l’Exil, le temple de Jérusalem fut reconstruit à la fin du 6e siècle av. JC) illustre les différents degrés de sainteté avec la constitution de zones, une avant-cour pour les non juifs, puis pour les juifs, une cour pour les femmes, une cour pour les hommes, une pour les prêtres et le Saint des Saints : ce lieu vide dans lequel le grand prêtre entre une fois par an à l’occasion du Yom Kippour.
En même temps si cette notion paraît réservée à certaines personnes, elle peut concerner tout Israël. Il y a eu une évolution, une sorte de démocratisation de l’idée de sainteté. Israël est appelé à refléter la « sainteté de Dieu » par la qualité de ses institutions religieuses, de son culte, mais aussi par la qualité de sa vie communautaire et des rapports sociaux. La sainteté se manifeste dans le respect du sang, de la vie cultuelle, mais aussi par le souci de l’autre. Il y a une dimension éthique de la sainteté comme le développe Lévitique 19,1s « Soyez saints car je suis saint ».
Dans ces versets, Exode 3,1-12, la visée du compositeur est d’introduire les personnages principaux et de préparer toute l’histoire de la libération et de la constitution d’Israël. Avec Exode 3
Exode 3,16-22. C’est la première mention du groupe des anciens dans la Bible. Ils sont associés à la vocation de Moïse et apparaissent à certains moments clefs, pour l’institution de la Pâque (Exode 12,21), pour le don de la loi (Exode 19,7) et pour la conclusion de l’alliance (Exode 24,1-9). Ces versets valorisent ainsi une institution ancienne en la reliant à la vocation de Moïse, ils justifient l’autorité des anciens sur la vie d’Israël.
Exode 4,1-17. Ce passage rapporte plusieurs signes destinés à convaincre Moïse de sa mission et à provoquer la confiance et la foi des anciens ou des fils d’Israël. Le thème de la foi est récurrent : v.1,5,8,9. Croire en Dieu et en Moïse demeure un des enjeux de l’Exode, puisque ce motif est repris en Exode 14,31.
Les signes du bâton, de la main lépreuse et de l’eau qui se change en sang assurent Moïse d’un pouvoir considérable et préparent le long récit des dix fléaux infligés à l’Egypte. Enfin, à la suite des signes, Dieu lève les dernières objections de Moïse en lui joignant Aaron. Aaron apparaît brusquement dans le récit. Il est nommé pour la première fois dans le Pentateuque. Il y a une affirmation de communion entre Aaron et Moïse. Aaron se réjouit. Yhwh est avec la bouche de Moïse et celle d’Aaron (Esaïe 6,9 ; Jérémie 1,9 ; Jérémie 15,9 et Deutéronome 18,18). Le récit devient ici une légitimation du sacerdoce d’Aaron, même si la communion entre Moïse et Aaron n’empêche pas de marquer une hiérarchie entre les deux, v.1 : « Tu seras pour lui comme un dieu ». Le fait qu’Aaron endosse la charge prophétique indique le rôle déterminant des prêtres dans la transmission de la volonté de Dieu. L’institution sacerdotale canalise la fonction prophétique.
Les versets 13 à 15 d’Exode 13
v.13 |
le dieu de vos pères m’a envoyé vers vous |
v.14 |
» je suis qui je serai « . La traduction grecque de l’Ancien Testament propose : « moi je suis celui qui est » (l’étant) |
v.14 |
« je serai » m’a envoyé vers vous |
v.15 |
Yhwh, le Dieu de vos pères, Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, m’a envoyé vers vous, (c’est là mon nom pour toujours) |
Les trois versets utilisent la même périphrase « m’a envoyé vers vous » pour indiquer que la formule « je serai »
L’association Yhwh /Dieu de vos pères est plutôt rare et montre bien l’effort littéraire de ces versets. Comparable à Exode 3,6a et de même facture, le v.15 est une construction harmonisante des appellations connues de Dieu. Elle identifie et unifie les différentes traditions sur Dieu en Israël tout en donnant une primauté au nom de Yhwh. Dans ce verset, la distinction entre les patriarches et Moïse ne signifie pas (ou plus) une opposition. Le compositeur prend soin de dire la continuité entre les traditions patriarcales, autochtones et la tradition venue du séjour en Egypte. Exode 3,13-15 introduit la préoccupation de l’unité d’Israël en identifiant Yhwh au Dieu des pères, à celui d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Le souci réconciliateur pousse à proclamer l’unité du Dieu d’Israël sous toutes ses appellations.
C’est pour convaincre les fils d’Israël au v.13 que Dieu s’identifie et donne à Moïse le privilège de connaître le nom de Yhwh. Exode 6,3 distingue Moïse et les patriarches : « et mon nom « Yhwh », je ne l’ai pas fait connaître à eux ». Le nom Yhwh est d’abord attaché aux traditions de Moïse. Ce texte et d’autres témoignent que le culte de Yhwh n’est pas à l’origine un culte cananéen (il provient du Sud de Canaan), et qu’il n’a pas été partagé à l’origine par les clans patriarcaux qui ont vénéré plutôt le dieu El, Genèse 33,20.
Méditation de J-D.Causse sur France-Culture le 15/8/2004.