Caïn et Abel - Clés de lecture
Le chapitre 4 de la Genèse est en lien direct avec les chapitres 1 à 3. Nous sommes tout au début du texte de la Genèse, dans des textes dits « mythiques Ce mot est issu du mot grec muthos et signifie : fable, légende. Le mythe est un récit littéraire ou populaire mettant en scène des êtres surhumains ou fantastiques qui vont accomplir des actions héroïques ou vivre des aventures remarquables et hors du commun. ». Ces textes posent les bases de la compréhension de la vie, de la naissance, de la mort. Le premier verset commence par la rencontre intime des deux premiers humains Adam et Ève. Cette rencontre a pour conséquence la naissance des deux premiers frères de l’Histoire : Caïn et Abel. Le verbe « connaître » en hébreu signifie une connaissance approfondie, ici le verbe indique l’acte sexuel de procréation.
L’affirmation d’Ève dans le verset 1 a suscité de nombreux commentaires quant à sa traduction. En effet, plusieurs mots peuvent être utilisés en français. Chaque choix peut influencer le sens de la phrase. Voici trois traductions à titre d’exemples :
« J’ai procréé un homme, avec le Seigneur » (TOB édition 2010)
« J’ai fait un homme grâce au Seigneur » (la Bible en français courant)
« J’ai produit un homme avec le Seigneur » (Nouvelle Bible Segond).
Les expressions « avec », « grâce au » indiquent que chaque naissance d’un être humain est un acte associé à la volonté de Dieu. Dans le texte biblique, Dieu est présenté comme initiateur de chaque acte de création, que ce soit la terre, le ciel, les animaux, les plantes, les êtres humains. Ce thème de la création divine est central dans le premier chapitre du livre de la Genèse (nous vous invitons à lire ce premier chapitre de la Genèse).
Le mot « frère » apparaît pour la première fois dans le texte biblique. Ce mot nomme le cadet de la première fratrie de l’humanité selon le texte biblique : Caïn est le premier né puis vient Abel son frère. Le mot « frère » est uniquement lié à Abel, il ne désigne jamais Caïn.
Le texte est extrêmement économe en détail narratif : l’expression employée est « continuer d’enfanter ». S’agit-il d’une suite de naissance ou d’une naissance gémellaire ? S’il s’agit d’une fratrie de jumeaux, les relations sont susceptibles d’être encore plus difficiles. En tout cas, la suite du texte présente les deux frères en miroir.
Le texte est assez surprenant : il recèle des sauts temporels importants. Le lecteur passe directement de la naissance de Caïn et Abel à leur activité professionnelle. Rien n’est dit de leur enfance, de leurs relations.
Adam et Ève, leurs parents, disparaissent subitement du texte étudié pour ne revenir qu’au verset 25 du chapitre 4 du livre de la Genèse.
Avec une économie de moyens, le texte alterne récits et dialogues.
Les récits décrivent très succinctement les actions des personnages. Ainsi le meurtre d’Abel par Caïn n’occupe qu’un seul verset (verset 8).
Les dialogues entre Caïn et Dieu tiennent cependant la place la plus importante à partir du verset 6. Le texte met en avant un dieu qui entre en dialogue, interroge et met en garde.
La réaction de Caïn semble due à un sentiment d’injustice : pourquoi Dieu n’accepte-t-il pas son offrande ? Le texte ne dit rien sur la motivation de Dieu. L’incompréhension se situe au niveau du personnage de Caïn mais également du lecteur. Le texte ne dit rien sur l’origine du changement d’attitude de Caïn envers son frère Abel. Car jusqu’à présent rien ne permettait de connaître la nature des relations entre les deux frères. Chacun avait sa place, exerçait son métier et pratiquait le don d’offrandes selon les versets 2 à 4.
Aux versets 6 et 7, Dieu tente d’établir un dialogue avec Caïn. Il lui pose deux questions pour comprendre sa réaction de colère. Mais Caïn ne répond pas. Il ne semble pas pouvoir expliquer ses sentiments : ressent-il un sentiment d’injustice, de rejet, de mépris, d’indifférence de la part de Dieu ?
Dieu poursuit le dialogue et donne un message explicite : Caïn doit choisir entre la voie du bien ou la voie du mal. La parole de Dieu est optimiste : Caïn est capable de dominer le péché. Il a une liberté de choix. Il n’est pas traité comme un enfant que l’on admoneste mais comme un adulte responsable de son choix.
Il faut noter que dans cet échange, il n’est pas question d’Abel. Dieu traite uniquement du comportement de Caïn.
Le texte ne dit toujours rien de la réaction de Caïn : accepte-t-il le message de Dieu ? Le comprend-il ? Quelles sont ses intentions ? Le lecteur ne sait rien de la psychologie de Caïn.
Alors qu’il n’établit aucun dialogue avec Dieu, il décide de parler à son frère Abel, sauf que le texte ne restitue aucune parole ! Le verbe hébreu amar (dire) implique un discours. Or la construction du texte est surprenante : il n’y a pas le contenu du discours de Caïn.
Le lien entre eux semble inexistant. Le lecteur n’obtient aucune explication et reste à nouveau bien perplexe. Face à cette question, la tradition juive puis la tradition chrétienne ont tenté de combler les blancs du texte biblique.
L’impensable arrive à la fin du verset 8. Caïn tue son frère Abel. Cette irruption de la violence pose la question de la véritable nature de leur relation fraternelle. Ce texte a un statut mythique, c’est pourquoi on peut dire que dès ce moment, la violence est présentée comme constitutive de l’histoire de l’humanité.
Ce premier meurtre se résume à deux mots : « le tua ». Du coup, les exégètes n’auront de cesse au fil des siècles de commenter ce geste. Le texte en revanche ne donne aucune explication du geste de Caïn. Il se contente d’une description des faits. Aucune intervention de Dieu pour empêcher le meurtre n’est rapportée.
Citation : « Nous sommes tous coupables de tout et de tous devant tous, et moi plus que les autres ». Dostoïevski, Les frères Karamazov, La Pléiade, p.310.
Après le meurtre, Dieu s’adresse une deuxième fois à Caïn. Il procède à un interrogatoire : où est Abel ? La réponse de Caïn est problématique. Il ment et ne se sent aucunement responsable de son frère Abel. Car c’est bien de responsabilité dont il s’agit ici et cela doit interpeller le lecteur : dans quelle mesure chaque être humain est responsable envers l’autre ?
Dès le début du récit de la Genèse, le mot « sol » traduit le mot hébreu adamah. Ce mot signifie la terre cultivable mais aussi la poussière. Il a la même racine que le mot adam qui signifie littéralement « tiré du sol » et qui désigne l’être humain dans le texte biblique.
Le sol est à la fois associé à la vie et à la mort dans le texte étudié. Le sort de Caïn est intimement lié au sol : au verset 2, Caïn est serviteur du sol ; au verset 3, l’offrande de Caïn est issue des fruits du sol ; au verset 10, le sol est le réceptacle du sang d’Abel ; au verset 11, Caïn est maudit depuis le sol ; au verset 12, Caïn continuera de servir le sol infertile avec peine.
Ces deux mots annoncent la sentence envers Caïn. Il ne possédera pas de sol alors que son offrande venait du sol. Il n’est plus sédentaire mais devra accepter l’errance.
Les versets 13 à 16 du texte constituent un dernier dialogue entre Caïn et Dieu. Caïn conteste la dureté de la condamnation. Dieu adoucit cette sentence en marquant le front de Caïn d’un signe. Malgré le meurtre, Dieu fait preuve de clémence et assure Caïn de sa présence : ce signe s’avère être une protection. Le texte biblique continue de surprendre le lecteur : le signe a pour fonction de stopper la violence.