Le juste est mis à nu - Contexte
Job lui-même n’est pas un Israélite et ne vit pas sur le territoire d’Israël. L’histoire de Job se déroule en effet dans le pays d’Ouç, en dehors du territoire d’Israël, probablement dans le territoire édomite (Est de la Palestine). Ainsi, dès le début, le livre de Job et son message ne concerne pas seulement le peuple d’Israël, mais un univers plus large.
La sagesse dans l’Orient Ancien recouvre ce que l’on appellerait aujourd’hui une » philosophie de la vie « . Il s’agit en effet de l’effort humain pour comprendre le monde et vivre en harmonie avec son ordre ou : ajuster son comportement à son ordre. Cette compréhension part de l’observation concrète des choses, elle en cherche le sens et une logique entre les événements. C’est une question de survie dans un monde précaire. Si l’on n’écoute pas les anciens, on risque de semer là où rien ne pousse ; si l’on ne fait pas de réserves, on risque de se trouver dans le besoin. Celui qui emprunte aux autres sans jamais rendre risque de se retrouver sans personne qui veuille encore l’aider, etc. Le livre des Proverbes est rempli de ces recommandations. Elles sont la quintessence de ce que l’homme a trouvé pour vivre, pour bien vivre. La sagesse cherche le bon sens, la logique, la cohérence, la pertinence de l’action humaine. Elle découvre des liens de cause à effet dans le comportement de l’être humain : Plus un personnage est sage ou avisé, mieux il réussit dans la vie. Plus un personnage se conduit mal, plus il risque punition et malheur. Ce qui est donc d’abord simplement un constat de bon sens devient petit à petit une conviction théologique. La sagesse développe ainsi une image de Dieu qui fonctionne à partir de cette conviction de base : la rétribution. Cette idée repose sur une conception religieuse du monde : Dieu a établi l’ordre du monde et, pour que cet ordre puisse durer, il doit exister un lien entre l’agir de l’être humain et ce qui lui arrive. Par conséquent, tout acte mauvais doit être sanctionné et tout acte bon récompensé. L’expérience de Job va battre en brèche cette compréhension de Dieu. Le livre de Job va
Au moment où une religion admet l’existence de plusieurs dieux, la question de l’origine du mal est assez facilement résolue : généralement, c’est un dieu plus ou moins méchant qui en porte la responsabilité. Dans les religions monothéistes par contre (qui ne reconnaissent qu’un seul Dieu), la question est plus difficile. En effet, s’il n’y a qu’un seul Dieu, créateur de l’univers, il est forcément responsable de tout ce qui arrive. Dans l’Ancien Testament, à une époque où la foi en un seul Dieu se profile, on découvre des textes qui peuvent choquer quand on les extrait de leur contexte. Ainsi, dans le livre du Deutéronome, on lit :
Deutéronome 32,39
Sachez donc que c’est moi qui suis Dieu, et qu’il n’y a point de dieu près de moi. Je fais vivre et je fais mourir. Je blesse et je guéris. Et personne ne délivre de ma main.
Ou encore dans le livre du prophète Esaïe qui met dans la bouche de Dieu les paroles suivantes :
Esaïe 45,5-7
C’est moi qui suis le Seigneur, il n’y en a pas d’autre, moi excepté, nul n’est dieu! Je t’ai mis le ceinturon, sans que tu me connaisses, afin qu’on reconnaisse, au levant du soleil comme à son couchant, qu’en dehors de moi: néant! C’est moi qui suis le Seigneur, il n’y en a pas d’autre. Je forme la lumière et je crée les ténèbres, je fais le bonheur et je crée le malheur: c’est moi, le Seigneur, qui fais tout cela.
La structure de ce récit en prose est facilement identifiable ; six grandes parties ressortent d’une lecture attentive. Le début introduit des indications géographiques, la figure et les caractéristiques de Job (1,1-5). Ensuite, le cadre géographique change, l’action se situe à la cour céleste entre l’Adversaire
Dans la Bible, on désigne ainsi, avec une majuscule, celui qui s'oppose à Dieu. On trouve encore les noms de diable (en grec : " celui qui divise "), de Satan (traduction de l'hébreu : " celui qui accuse "), de Malin (celui qui fait le mal), etc. (Satan) et Dieu (1,6-12). De retour sur terre, quatre catastrophes touchent Job de plein fouet lui faisant perdre toute sa fortune et sa descendance (1,13-19). Pourtant, Job ne succombe pas à ses malheurs et ne maudit pas Dieu (1,20-22). L’adversaire insatisfait, demande alors à Dieu de pouvoir également attenter à l’intégrité physique de Job (2/1-6), mais cette deuxième mise à l’épreuve ne réussit pas mieux et Job, malgré l’insistance de son épouse, reste inébranlable (2,7-10).
Il est à noter que la cohérence littéraire de ces deux premiers chapitres est problématique ; en effet, les deux dialogues à la cour céleste (1,6-12 et 2,1-6) interviennent brutalement dans le récit sans avoir été introduits et semblent couper une suite logique d’abord entre le verset 5 et le v.13 puis entre le v.22 et le v.7 du deuxième chapitre (même si dans ce cas, le lien est moins évident). En effet, il est probable qu’un rédacteur plus tardif ait pris soin d’ajouter ces deux scènes à la cour céleste pour éviter de faire reposer entièrement la responsabilité des malheurs de Job sur Dieu lui-même.
Quand on étudie l’histoire de Job d’un point de vue littéraire, on remarque plusieurs aspects qui la rapprochent d’un conte : la richesse extraordinaire du héros, les malheurs qui arrivent coup sur coup et le mettent à l’épreuve. Finalement, sa » victoire » : malgré tout ce qui arrive, il tient bon. On s’attendrait alors à une formule du genre : » et la morale de l’histoire est la suivante… « . La trame initiale de ce livre de la Bible pourrait en effet reposer sur un récit oral qui célèbre l’homme capable de résister devant les malheurs de la vie avec un certain détachement. Même si cette interprétation ne rend pas compte de l’ensemble du livre, une lecture des premiers chapitres la suggère souvent. Ce n’est que dans un deuxième temps qu’une critique de ce conte est formulée. Elle trouve son expression dans les chapitres qui vont suivre et qui insistent non pas sur l’inébranlabilité de Job, mais bien sur sa révolte.