Marthe et Marie - Clés de lecture
Marthe est présentée comme la maîtresse de maison. Le prénom « Marthe » signifie « maîtresse de maison » en araméen L’araméen était la langue usuelle de la vie quotidienne. C’est une langue sémitique, proche de l’hébreu, parlée au cours de l’Antiquité dans tout le Proche-Orient.*. Cet épisode se trouve seulement dans l’évangile selon Luc. Le nom du village où vit Marthe n’étant pas même mentionné, le récit se focalise sur l’attitude des deux soeurs et interroge ainsi le lecteur.La maison de Marthe peut être considérée comme un lieu d’accueil sur le chemin. Tout au long de l’évangile selon Luc, Jésus chemine et est accueilli dans différents lieux.Dans l’évangile selon Jean (Jean 11), on retrouve aussi une Marthe et une Marie, accompagnées de leur frère Lazare, absent du récit de Luc. Le récit de Jean 11 se focalise davantage sur Lazare.On retrouve dans l’évangile selon Luc, un personnage nommé Lazare dans la parabole du riche et de Lazare (chapitre 16,19-31).
Marthe, celle qui accueille Jésus, est mentionnée en premier dans le texte. Sa sœur Marie apparaît en second. Le texte dit littéralement : « Et à elle [Marthe] était une sœur appelée Marie ». L’ordre d’apparition des deux femmes fait comprendre que Marthe occupe une place dominante. Elle a cette place autant dans l’évangile selon Luc que dans l’évangile selon Jean (Jean 11). Marie semble rester en retrait. Il pourrait s’agir également d’un ordre dans la fratrie : Marthe est-elle l’aînée et Marie la cadette ? Le texte pose déjà les éventuels jalons d’une compréhension du texte : la femme la plus importante n’est peut-être pas celle que l’on croit. Dans l’évangile selon Jean, la femme au parfum qui oint Jésus à la veille de sa mort, s’appelle aussi Marie. Alors que dans les autres évangiles, cette femme reste anonyme.
Marie est dans une position statique et d’écoute. C’est la posture du disciple, un rôle réservé traditionnellement aux hommes. L’écoute pourrait être comprise comme de l’inactivité ou de la passivité et c’est ainsi que Marthe semble l’interpréter. A part cette position, sa parenté à Marthe et son écoute de la parole du Seigneur, le lecteur n’apprend rien d’autre sur Marie. Elle n’a pas la parole, elle reste muette dans cet épisode. Le verbe qui la caractérise est le verbe : écouter.L’attitude de chacune des sœurs est opposée dans leur façon d’accueillir Jésus. Pour chacune d’entre elle, Jésus apparaît cependant comme Seigneur : verset 39 Elle avait une sœur, appelée Marie, qui, s’étant assise à côté, vers les pieds du Seigneur, écoutait sa parole.verset 40 Mais Marthe, était tiraillée par un multiple service. Etant survenu, elle dit : Seigneur, cela ne te soucie pas que ma sœur m’ait laissée seule servir ? Dis-lui donc de m’aider.
Le verbe qui caractérise Marthe est un verbe d’action qui signifie à la voix passive : s’affairer. Son sens littéral est : « être tiraillé de toutes parts ». Son attitude est semblable à de l’hyperactivité mais, finalement, elle est peut-être aussi victime de son attitude puisqu’elle subit passivement son action. Son comportement dénote sa bonne volonté. En voulant faire honneur à Jésus, elle s’épuise à de multiples tâches. En voulant « trop bien » l’accueillir, elle ne reste pas à côté de lui et ne l’écoute pas.Marthe est proche d’une femme (ou d’un homme) du 21ème siècle fragmentée dans diverses tâches, craignant parfois de faire des choix, car choisir implique aussi de renoncer à s’investir dans toutes les possibilités. Son attitude fait évidemment contraste avec celle de sa sœur Marie.
Marthe apostrophe Jésus et le prend à partie. Elle donne même un ordre à son invité. C’est une attitude étrange pour accueillir Jésus. Marthe est tellement emportée par ses multiples activités qu’elle en oublie les règles d’hospitalité. Et pourtant, elle pensait tout faire pour bien accueillir Jésus. Dans cette exclamation de Marthe, nous pouvons entendre sa fatigue, sa frustration, son exaspération, voire une petite pointe de jalousie envers Marie.Elle demande à Jésus un acte d’autorité sur sa sœur. Cette demande va apparaître complètement inadéquate et injustifiée.
Jésus appelle Marthe deux fois par son prénom dans un geste d’apaisement et d’affection. Le redoublement du prénom peut également être le signe d’une relation forte. Dans l’Ancien Testament, le double appel du prénom est signe d’élection: 1Samuel 3,10 Le Seigneur vint et se tint là. Il appela comme chaque fois : Samuel ! Samuel ! Samuel répondit : Parle ! Moi, ton serviteur, j’écoute.Jésus reconnaît le dévouement de Marthe mais il attire son attention sur le fait que son action, qualifiée d’inquiétude et d’agitation, la menace. Ce n’est pas tant les actions de Marthe qui posent problème mais la façon dont elle les habite. Marthe n’est pas sereine, elle se fait du souci (le verbe merimnô en grec). On retrouve un mot de la même racine dans un autre passage : 1Pierre 5,7 Déchargez-vous sur lui (Dieu) de tous vos soucis (merimnan), car il prend soin de vous. Marthe risque de passer à côté de ce que son hôte veut lui apporter.
L’auteur crée une opposition entre l’action de Marthe qui s’inquiète et s’agite « pour beaucoup » et « une seule chose est nécessaire ». Le texte dit littéralement : « d’une seule chose il est besoin ». Jésus ne définit pas quelle est cette chose. Il renvoie Marthe à la question du choix et du discernement : quelle est cette seule chose que Marthe doit choisir ? Cette remarque de Jésus à Marthe nous interpelle dans nos engagements ou nos actions. Que considérons-nous et que choisissons-nous comme « seule chose nécessaire » dans notre vie ?
Bien que le mot grec agathên signifie « bonne », certaines traductions traduisent par « meilleure » ce qui induit une autre lecture et interprétation. La réponse de Jésus est brève et ne donne pas de précision sur la nature de cette « part » : il s’agit surtout de la saisir, de choisir. Le lecteur sait simplement que Marie a choisi de s’asseoir aux pieds de Jésus et d’écouter sa parole (verset 39).
La question est de savoir s’il y a un critère pour ce choix ou non. Marie a choisi en contraste avec sa sœur Marthe, qui, elle, n’a pas choisi et est littéralement « tiraillée par un multiple service ». Le choix conduit à une attitude tranquille, qui n’envie pas les choix des autres. Chaque choix est respectable. Il est possible de choisir de « faire » ou « d’écouter ». Il ne s’agit pas d’un jugement de l’autre sur son choix.