De la grâce à la louange - Clés de lecture
Le texte commence par le prénom de Paul qui se présente d’emblée comme l’auteur de cette lettre. Mais les choses ne sont pas si simples. Paul a écrit des lettres que l’on considère de sa propre main, d’autres lettres sont probablement écrites par ses disciples.
La lettre aux Ephésiens fait partie de ces dernières. Les exégètes Du grec exegeomai qui signifie "mener en dehors de" . Appliquée à des textes, l'exégèse cherche donc à les expliquer et à en dégager le sens, à en donner une interprétation.* s’accordent actuellement à penser que l’auteur pourrait appartenir à un groupe de personnes influencées par la pensée de Paul (qu’on appelle l’école paulinienne), situé en Asie mineure et que la lettre aurait été rédigée entre 80 et 100 de notre ère.
L’auteur « Paul » se présente lui-même comme choisi par Dieu : « apôtre de Jésus-Christ par la volonté de Dieu ». C’est cette idée qu’il va développer tout au long de ces versets : ce n’est pas l’être humain qui choisit mais Dieu qui choisit les êtres humains. Ceci est valable pour lui comme pour tous les croyants.
Dans le Nouveau Testament, le mot « saint » désigne celui qui appartient à Jésus Christ et le mot est synonyme de « disciple », « chrétien » (Romains 1,7 et 12,13). Etre « saint » exprime donc ici une appartenance. Dans les lettres de Paul, le mot « saint » désigne « le croyant ».
La lettre commence par une adresse et une salutation aux destinataires qui ne sont pas clairement définis. Mais qui sont-ils ? Il ne s’agit peut-être pas des Ephésiens car la mention du lieu n’apparaît pas dans les manuscrits les plus anciens que nous possédons. Elle a été ajoutée plus tard.
La seule indication concrète sur les destinataires se trouve au chapitre 2, verset 11 : « Souvenez-vous donc qu’autrefois, vous qui portiez le signe du paganisme dans votre chair, vous que traitaient d’ « incirconcis » ceux qui se prétendent les « circoncis », à la suite d’une opération pratiquée dans la chair ». Il s’agirait donc de pagano-chrétiens, c’est-à-dire de non-juifs qui ont adhéré directement au christianisme naissant.
Il s’agit d’une formule de salutation utilisée dans les lettres de Paul, de ses disciples et d’autres auteurs (seule la lettre aux Hébreux ne l’utilise pas). Une formulation légèrement différente (« grâce, miséricorde, paix ») apparaît dans les deux lettres à Timothée.
Il existe un parallèle entre ces formules de salutation et l’utilisation dans l’Ancien Testament du mot shalom (qui signifie « paix ») et qui est aussi utilisé pour saluer quelqu’un.
Quant au mot « paix », il revient à plusieurs reprises dans la suite de la lettre aux Ephésiens (Ephésiens 2,14 ; 2,17 ; 4,3 ; 6,15) ce qui souligne l’importance qu’il a pour l’auteur.
Le mot « grâce » traduit le mot grec charis qui signifie aussi « reconnaissance », « ce que l’on accorde à quelqu’un ». Au sens religieux, la grâce désigne le don de Dieu : ce qu’il offre aux hommes gratuitement.
Dans l’épitre aux Ephésiens (chapitre 2, verset 8), l’auteur affirme que : « vous êtes sauvés par la grâce, par le moyen de la foi, cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu ». Voilà une des affirmations centrales du Nouveau Testament : celle du salut gratuit ou de la justification par grâce.
Après l’indication de l’auteur présumé de la lettre (Paul), des destinataires (aux saints et fidèles en Jésus-Christ) et du souhait (à vous grâce et paix), la lettre commence par une bénédiction. Elle va se dérouler en une longue phrase ininterrompue du verset 3 au verset 14 et énumérer les bénédictions reçues de Dieu.
Les formules de bénédiction reprennent le schéma des bénédictions de l’Ancien Testament :
Les formules de bénédiction de Dieu par le croyant (verset 3 : « Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus Christ ») sont toujours une louange. Les formules de bénédiction du croyant par Dieu (verset 3 : « Il nous a bénis de toute bénédiction spirituelle dans les cieux en Christ ») ont toujours des conséquences dans la vie du croyant : bonheur, descendance, richesse, terre etc… Plus généralement, les textes développent l’idée que la bénédiction que l’être humain adresse à Dieu est motivée par les bénédictions reçues auparavant
Dans l’Ancien Testament, la bénédiction concerne tous les aspects de la vie du croyant : sa vie physique, sa vie sociale, sa vie spirituelle.
Dans le Nouveau Testament, et en particulier ici dans la lettre aux Ephésiens, s’opère un éclairage particulier de la bénédiction spirituelle. La lettre aux Ephésiens montre par la suite comment la bénédiction est directement liée à l’élection spirituelle et à la prédestination.
Le thème du choix (élection) est important dans l’Ancien Testament : l’élection est à l’initiative de Dieu, indépendamment de toute « qualité » de la personne ou du groupe ainsi mis à part. Le livre du Deutéronome développe cette idée :
Deutéronome 7,6-8 Si le Seigneur s’est attaché à vous et s’il vous a choisis, ce n’est pas que vous soyez le plus nombreux de tous les peuples, car vous êtes le moindre de tous les peuples. Mais si le Seigneur, d’une main forte, vous a fait sortir et vous a rachetés de la maison de servitude, de la main du Pharaon, roi d’Egypte, c’est que le Seigneur vous aime et tient le serment fait à vos pères.
Le Nouveau Testament et ici la lettre aux Ephésiens, revisitent le thème du choix de Dieu en y ajoutant « en lui », à savoir « en Jésus Christ, son fils ». Ainsi, l’alliance conclue avec un peuple s’ouvre à celles et ceux qui se reconnaissent frères et sœurs de Jésus Christ, fils de Dieu. Chaque être humain peut entrer dans la famille de Dieu (verset 5) grâce à l’intervention de Jésus-Christ (lui-même fils bien-aimé de Dieu, verset 6). Cette idée d’élection en Christ est répétée au verset 11.
Le verbe grec traduit ici par « prédestinés » signifie littéralement « ayant destiné d’avance ». Le sujet de ce verbe est « Dieu ». C’est bien Dieu qui est à l’initiative de cette action, l’être humain n’y est pour rien. La conséquence de cette prédestination pour les Ephésiens est décrite au verset 5 : « être pour lui des fils adoptifs par Jésus Christ » et aux versets 11 et 12 « pour être à la louange de sa gloire ».
L’exégète Michel Bouttier commente ainsi ce verset 5 : « Le verbe indique l’initiative absolue de Dieu au départ de toute histoire, initiative qui écarte autant les auto-justifications éventuelles que les contestations de ce choix. Loin de bloquer dans un statut défini d’avance, la décision de Dieu ouvre sur une situation neuve, oriente vers l’adoption, vers le Père lui-même ».
Dans la Bible d’une manière générale, le sang, c’est la vie. C’est pourquoi, dans le récit de la sortie d’Egypte, les Hébreux sont invités à mettre du sang d’agneau sur leurs portes (Exode 12,21-23) pour que le destructeur ne puisse les atteindre. En fait, ils mettent « de la vie » sur leurs portes et du coup, la mort ne peut rien… C’est cette symbolique qui opère aussi dans la lettre aux Ephésiens : c’est le sang, c’est-à-dire la vie du Christ qui délivre.
Au fil du temps, la mort du Christ sur la croix a pu cependant être comprise comme un « sacrifice » dans lequel on souligne la douleur et la souffrance de la victime. Or, en particulier dans la théologie de Paul, l’accent est mis sur le fait que Jésus-Christ joue un rôle de médiateur entre l’être humain et Dieu. Cette idée est reprise ici par le rédacteur du texte étudié aux versets 7 à 12 : Jésus Christ conduit le croyant à Dieu à travers sa propre relation à Dieu. Il ne prend pas la place de Dieu. Son retrait (par sa mort et sa résurrection) offre la possibilité d’une relation de filialité, d’adoption avec Dieu. L’enjeu n’est pas la mort mais la rédemption par sa vie.
Les expressions « le mystère de sa volonté » ou bien « la décision de sa volonté » se trouvent dans les lettres authentiques de Paul : dans la lettre aux Romains (Romains 16,25-26) et dans la 1ère lettre aux Corinthiens (1 Corinthiens 2,7-10). A regarder de près ici, le « mystère de sa volonté » n’a rien de particulièrement mystérieux, car le lecteur sait de quoi il s’agit : du projet de Dieu de susciter de la louange ! C’est un procédé littéraire intéressant qui, tout en utilisant un langage d’initié (« mystère », littéralement « ce qui est fermé »), fait entrer le lecteur d’emblée dans ce « mystère » qui n’en est alors plus pour celui et celle qui sait lire les textes !
L’expression « mystère de sa volonté » est reprise par les auteurs de la lettre aux Colossiens (Colossiens 1,26-27 et 2,2-3). La signification y est la même.
La lettre aux Ephésiens a été écrite entre 80 et 100 après J.-C. Un des problèmes majeurs à cette époque est l’unité de l’Eglise. En effet, Paul maintenait le lien entre les communautés et en était la figure d’autorité. Après sa mort, probablement en 65 ou 66, apparaît le risque d’une fragmentation des communautés car plusieurs courants théologiques existent en leur sein.
Ce contexte historique peut être un des éléments qui explique le rôle central que le texte accorde au Christ. C’est lui -et non les divers témoins que les communautés ont connus- qui devient le centre d’une vision cosmologique : il réunit l’univers (le ciel et la terre). Le mot « chef » traduit le mot grec kephalé qui signifie à la fois « la tête » et « le premier ».
Dans cette expression, on peut également entendre qu’il rassemble les croyants. L’idée de l’Eglise comme rassemblement est fondamentale dans le christianisme. C’est ce rassemblement qui fait l’Eglise. Le mot même « Eglise » l’exprime puisqu’il vient du verbe grec ek-kaleô qui signifie « appeler hors de » d’où « rassembler ».
En quoi le message de l’Evangile peut-il sauver ? Pour l’auteur de la lettre aux Ephésiens, le message de l’Evangile (littéralement un bon message, une bonne nouvelle) introduit le croyant dans la famille de Dieu : il le fait frère ou sœur de Jésus Christ, enfant de Dieu le Père. Etre adopté ainsi comme fils ou fille de Dieu peut « sauver » non seulement d’une existence ressentie comme solitaire, abandonnée et vagabonde, mais répond aussi à une recherche de sens de son existence. L’être humain est ainsi inscrit dans une filiation qui dépasse la simple filiation génétique (et les liens, pas toujours positifs qui en résultent). L’adoption est toujours à l’initiative de celui, ici Dieu, qui adopte : la personne adoptée entend ainsi un « oui » sur sa vie toute entière, une acceptation qui ne repose sur rien d’autre que la volonté de Celui qui accueille.
Pour le Nouveau Testament, le Saint Esprit est la présence de Dieu parmi les humains. Il rend le Christ présent, il permet de comprendre les Ecritures qui lui rendent témoignage, il rappelle son enseignement, il pousse les chrétiens à annoncer la bonne nouvelle, il les unit dans la foi, dans l’espérance et dans l’amour, il leur donne les aptitudes au témoignage, il les soutient dans l’adversité…
Le rôle de l’Esprit saint revient à plusieurs reprises dans la lettre aux Ephésiens (2,18,22 ; 3,5.16 ; 4,4,30 ; 5,18 ; 6,17-18) : il apparaît toujours lié à Dieu ou à Jésus Christ.
Au verset 5, le texte parle d’adoption : « il nous a prédestinés par Jésus-Christ à être adoptés, selon le dessein bienveillant de sa volonté ». Cette adoption a des conséquences : au verset 14, le texte évoque l’héritage qui en résulte.
L’auteur reprend ici l’idée de Paul présente dans ses lettres, notamment dans la lettre aux Galates et dans la lettre aux Romains, qui articule l’adoption et le fait d’hériter. Pour Paul, l’adoption est une autre manière de dire la justification : être accueilli.e comme fils ou fille par Dieu indépendamment de ses qualités.
Cette expression difficile à comprendre est une traduction littérale (on pourrait d’ailleurs dire « vers/pour la louange de sa gloire »). Elle semble importante, car elle revient comme un refrain aux versets 6,12 et 14.
La louange apparaît comme la finalité de la vie chrétienne. Cette idée est également présente dans l’Ancien Testament où les psaumes de louange ont comme fonction de louer Dieu chaque jour. La « gloire » reprend un concept juif : celui de l’identité (littéralement, la gloire, c’est « ce qui fait le poids de quelqu’un » ). On pourrait ainsi comprendre : Dieu fait de nous des fils et des filles d’adoption, pour que son identité soit reconnue grâce à notre louange. »