L’Esprit donne à entendre - Clés de lecture
Le texte de Luc commence par situer le récit dans le temps : c’est la fête juive de la Pentecôte (chavouot en hébreu) qui fait partie des fêtes de pèlerinage. La signification de cette fête a évolué : d’une fête agraire, elle devient au 1er siècle après J.-C. une fête commémorative de l’Alliance entre Dieu et son peuple par le don de la Loi (Exode 19 et Exode 20).
Luc, quant à lui, présente la Pentecôte comme don de l’Esprit et comme événement fondateur de l’Eglise. Il a d’ailleurs déjà fait allusion au don de l’Esprit Saint dans son évangile et au début du livre des Actes des Apôtres.
Luc est un des quatre évangélistes aux côtés de Matthieu, Marc et Jean. L’auteur de l’évangile, auquel la tradition a conféré le nom de Luc, est le seul à écrire en « je » et cela crée une impression de proximité avec lui. L’auteur du texte de l’évangile reste anonyme. Il semble être un homme cultivé, à la fois théologien, historien, écrivain. Il s’exprime dans un grec élaboré et recherché. Dans l’ensemble des textes qui ont formé le canon Le mot est d'origine grec et signifie à l'origine "baguette" ou "règle de charpentier" et par extension a pris le sens de "règle". Finalement ce mot a désigné une liste ou un catalogue de livres, représentant la règle qui délimite les Ecritures reconnues, et faisant autorité pour la foi juive puis chrétienne.* du Nouveau Testament, cet auteur a rédigé deux livres entre 80 et 90 après J.-C. : l’Evangile selon Luc et les Actes des Apôtres. Bien qu’aujourd’hui, dans la disposition des livres du Nouveau Testament, ces deux textes soient séparés par l’Evangile selon Jean, ils forment bien un ensemble.Luc raconte dans son évangile la vie de Jésus et dans les Actes l’histoire de la première communauté issue du ministère de Jésus. L’unité entre les deux tomes tant au niveau littéraire que théologique est affirmée dès le 2e siècle.
Dans le Nouveau Testament, deux textes sont attribués à Luc : l’Evangile selon Luc et Les Actes des Apôtres. Au début des Actes des Apôtres, Luc fait allusion à son évangile dans lequel il a relaté la vie de Jésus. Luc va parler ensuite de la vie naissante de l’Eglise et des premiers témoins.
Le premier chapitre des Actes des Apôtres est une transition entre les deux livres : Luc y rappelle les derniers événements de la vie et de la mort de Jésus, la Résurrection et l’Ascension. Le deuxième chapitre parle de la Pentecôte et du don de l’Esprit Saint.
Au début du livre des Actes des Apôtres (Actes 1,13-14), Luc énumère les personnes qui sont présentes. Il s’agit des onze disciples auxquels s’ajoute Matthias par tirage au sort (Actes 1,23-26), de femmes dont le nombre et le nom ne sont pas précisés, de Marie, mère de Jésus, et des frères de Jésus. Le texte mentionne au verset 15 le nombre de 120 personnes. Ce groupe constitue une première communauté en attente. L’expression « dans le même lieu » du verset 2 fait allusion à une chambre haute que le texte des Actes des Apôtres mentionne déjà au chapitre 1, verset 13. La vie de cette communauté est circonscrite à Jérusalem. Les douze disciples montent au Temple pour prier – les liens avec le judaïsme ne sont pas encore coupés – mais cette première communauté se réunit néanmoins ici dans un lieu profane.
Un phénomène prodigieux a lieu. Sa description fait appel aux sens : « un bruit fracassant » alerte l’ouïe, puis « un souffle violent » sollicite la sensation du toucher, enfin la vue intervient avec l’apparition des « langues comme de feu ». Les sens sont en alerte bien avant la compréhension de la situation. Le phénomène a lieu dans un espace clos, la maison, et n’est visible que par les personnes présentes qui en deviennent témoins.
Le feu rappelle le mode d’apparition de Dieu dans l’Ancien Testament sur le mont Sinaï (Exode 19,18) et dans l’épisode dit du « buisson ardent » (Exode 3,1-6).Le souffle se dit rouah en hébreu. Au tout début de la Genèse (Genèse 1,2), à la création du monde le souffle de Dieu « plane sur les eaux », littéralement « couve sur les eaux ». Dans le texte d’Ezéchiel (Ezéchiel 37,1-6), le souffle de Dieu permet que des ossements reprennent vie. Ainsi, le mot rouah est étroitement lié à la notion de vie grâce à l’action de Dieu. Luc, quant à lui, utilise dans son texte deux mots grecs : pnoê (vent, souffle) au verset 2 et pneuma (esprit, souffle vital, vent) au verset 4. En grec également, le mot pneuma est en lien avec l’action de Dieu.
Le récit de Pentecôte est spécifique à Luc. Pour résumer : des versets 1 à 5, les personnes présentes assistent à une manifestation incroyable sous la forme d’un bruit semblable à une bourrasque de vent qui remplit la maison (versets 1 et 2). Des « langues comme de feu » touchent chacune des personnes se trouvant dans la maison (verset 3). Le texte donne une interprétation de ces deux phénomènes au verset 4 : le vent s’avère être l’Esprit Saint et les « langues comme de feu » correspondent aux différentes langues dans lesquelles les apôtres vont s’exprimer.
Luc va jouer sur la double signification du mot grec glôssa qui désigne, comme en français, l’organe dans la bouche (verset 3 : les langues comme de feu) et la langue (le langage) que l’on parle (verset 11). En revanche aux versets 6 et 8, il utilise sans ambiguïté le mot grec dialectos.Cette image des « langues comme de feu » a suscité plusieurs commentaires théologiques, des Pères de l’Eglise jusqu’à nos jours. Les représentations artistiques cherchent à rendre visible quelque chose d’invisible : le don de l’Esprit Saint.
Selon Luc, c’est l’Esprit qui donne l’impulsion et la force aux disciples et à tous les croyants pour parcourir le monde parfois hostile et y témoigner de leur foi. La suite du récit des Actes des Apôtres relate les difficultés auxquelles ils se heurtent.
Chez Jean et chez Paul, l’Esprit Saint est à l’origine du témoignage : 1Corinthiens 12,3 Personne ne peut dire que Jésus est Seigneur, sinon sous l’action de l’Esprit Saint. Dans l’Evangile selon Luc, l’Esprit Saint est présent tout au long de la vie de Jésus puis il accompagne tous les disciples.
On pourrait dire que l’Esprit Saint, après le départ de Jésus, est la manière dont Dieu est présent auprès des croyants. Si l’Esprit Saint est traditionnellement représenté par une colombe qui descend, c’est qu’il est ainsi symbolisé lors du baptême de Jésus.
Dans la liturgie protestante, l’Esprit est invoqué à deux reprises : au moment de la lecture des Ecritures et au moment de la Cène : on appelle cette prière « épiclèse Prière qui invoque le Saint Esprit, souvent appelée " prière d'illumination ". Le mot est d'origine grecque et veut dire littéralement " appeler sur ".* ». C’est l’Esprit de Dieu qui permet qu’à travers les paroles humaines des Ecritures, la parole de Dieu soit entendue et c’est encore grâce à l’Esprit que la présence de Jésus Christ est perçue dans l’assemblée lors de la Cène C'est le nom donné au dernier repas de Jésus avec ses disciples. Il leur demande de partager après sa mort un tel repas en mémoire de lui.*.
Le verset 4 emploie une expression grecque qui signifie « parler en d’autres langues ». Il s’agit ici effectivement d’autres langues parlées par différents peuples qui vont être énumérés dans la suite du texte. L’étonnement vient du fait que des personnes venues de différents pays comprennent ce que les disciples (tous galiléens) disent : « nous les entendons parler dans nos langues des merveilles de Dieu » (v.11). Certains d’entre eux en concluront au verset 13 que les disciples doivent être ivres !
Cependant le texte dit aussi au verset 4 que les disciples ne sont pas maîtres de leurs propos mais qu’ils parlent « selon ce que l’Esprit leur donnait de déclarer », à savoir des « merveilles de Dieu » (verset 11). Dans deux autres passages du livre des Actes des apôtres (Actes 10,46 et 19,6), l’Esprit Saint permet cette communication. Les personnes « parlent en langues » après de nouvelles venues de l’Esprit Saint.
Le mot « or » marque une rupture dans le récit et introduit la deuxième partie du texte. Le mot grec correspondant peut avoir un sens de liaison que l’on traduit par « et » mais aussi un sens de rupture que l’on traduit par « mais ou « or ». Après la description de cet événement extraordinaire qui se passe à l’intérieur de la maison avec quelques témoins, le récit décrit maintenant les conséquences à l’extérieur de la maison auprès « d’hommes juifs pieux » qui résident à Jérusalem et auprès de la foule.
Que dit le texte sur les premiers destinataires ? Ce sont des hommes (en grec andres par opposition à la femme). Ils appartiennent au peuple d’Israël. Ils pratiquent le judaïsme avec conviction : ils sont pieux. Ils sont issus vraisemblablement de la diaspora Ce terme désigne la dispersion des juifs hors de la Judée, sous l’effet des famines, guerres, exils, pratiques commerciales.* puisqu’ils sont « venus de toutes les nations qui sont sous le ciel ». A ce stade du texte, le « parler en d’autres langues » est donc réservé aux juifs et … aux hommes. L’élargissement aux non-juifs et l’introduction de la notion d’universalité a lieu au chapitre 10 des Actes des Apôtres avec la rencontre de Corneille et de Pierre. L’ouverture se fait au fur et à mesure.
Le nombre de témoins s’élargit : il s’agit maintenant d’une foule, littéralement de la « multitude ». Trois expressions rendent l’ampleur de leur réaction face à l’aspect miraculeux de ce phénomène de « parler d’autres langues » : « [la foule] fut bouleversée », « Ils étaient hors de sens », « ils s’étonnaient » (versets 6 et 7). Luc emploie le même verbe grec thaumazô (s’étonner) dans son évangile (chapitre 4, verset 22) lorsque les auditeurs écoutent le premier discours de Jésus. C’est l’étonnement face à un discours totalement inédit.
L’étonnement est double : premièrement, des galiléens parlent d’autres langues que leur langue maternelle et peuvent ainsi s’adresser à des personnes d’une autre culture ; deuxièmement, chaque auditeur comprend ce qui est dit dans sa langue maternelle. La diversité des langues n’est plus un obstacle mais la communication « dans l’Esprit » ouvre à l’universel.
Littéralement, le texte grec dit « dans notre propre dialecte dans lequel nous avons été engendrés ». Cette expression du verset 8 fait écho au verset 5 : « venus de toutes les nations qui sont sous le ciel ». Luc va illustrer son propos par une liste assez hétéroclite de peuples, de régions, de provinces. On ignore d’où provient cette liste car il est impossible, d’après les exégètes, de reconstituer les sources de l’auteur des Actes des Apôtres. Des listes semblables existent dans la littérature grecque et latine pour vanter les conquêtes militaires, l’expansion de l’empire grec d’Alexandre et de l’empire romain.
On retrouve dans l’Ancien Testament l’énumération de peuples sous la forme d’une généalogie des fils de Noé pour décrire toute l’humanité (Genèse 10 ; 1Chroniques 1,5-23). Alors que Luc écrit vers la fin du premier siècle (80 – 90 après J.-C.) à un moment où la Judée est sous domination romaine, la liste des peuples n’est pas neutre : au lieu de mettre au centre du monde Rome, Luc retient comme centre Jérusalem ! Le verset 5 situe la scène à Jérusalem, ville où converge une multitude de personnes d’origines ethniques différentes sans oublier l’occupant romain « les Romains en résidence ici » (verset 10). L’historien Luc, lui-même au carrefour des cultures, témoigne ici d’une ville multiculturelle où plusieurs populations et religions coexistent.
L’expression « les merveilles de Dieu » fait allusion à la Bonne Nouvelle Le mot évangile est un mot grec qui signifie "bonne nouvelle". On distingue deux compréhensions.* mais aussi, en référence à l’Evangile selon Luc, aux miracles et aux guérisons qui ont lieu lors du ministère de Jésus. Le mot grec traduit ici par « les merveilles » signifie aussi « les hauts faits », « les grandes œuvres ». Le discours de Pierre, qui se place juste après ce récit, recadre l’enjeu : il ne s’agit pas de propos confus de personnes ivres (verset 13), mais bien d’un acte de communication rendu possible par l’Esprit Saint.
Dans l’Evangile selon Luc, on retrouve une structure analogue du récit : la réception de l’Esprit Saint par Jésus lors de son baptême (Luc 3,21-22) suivi peu après du premier discours de Jésus à la synagogue (Luc 4,16-30).
Les exégètes s’accordent sur la rédaction des Actes des Apôtres vers 80 – 90. Cette période correspond au moment où le christianisme commence à se séparer du judaïsme. Luc évoque la réaction incrédule d’un groupe de personnes non identifiées (verset 13) qui se moquent des disciples et considèrent qu’ils sont ivres. Ils interprètent l’événement comme tout au plus un phénomène d’extase, souvent associé à l’ivresse. Luc témoigne ici du fait que, dès le départ, il y a eu une opposition au message de l’Evangile : rejet hors de la synagogue par les juifs, persécution par les romains, disqualification du discours par divers opposants.