L’ivresse du pouvoir - Culture
La figure et les aventures de Haman dans l’histoire d’Esther ont quelques ressemblances avec l’histoire d’Iznogoud, de Jean Tabary et René Goscinny. Les aventures d’Iznogoud prennent place à Bagdad la Magnifique, à l’époque des fakirs et des contes des Mille et une nuit. Elles mettent en vedette le Calife Haroun El Poussah, dirigeant de l’état de Bagdad et Iznogoud, qui est le grand vizir dont le plus grand désir est de devenir Calife à la place du Calife. Iznogoud tente donc par tous les moyens de se débarrasser de son Calife, mais ses tentatives se terminent toujours par de cuisants échecs.
« Enivrez-vous »
Il faut être toujours ivre, tout est là ; c’est l’unique question. Pour ne pas sentir l’horrible fardeau du temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve.
Mais de quoi? De vin, de poésie, ou de vertu à votre guise, mais enivrez-vous!
Et si quelquefois, sur les marches d’un palais, sur l’herbe verte d’un fossé, vous vous réveillez, l’ivresse déjà diminuée ou disparue, demandez au vent, à la vague, à l’étoile, à l’oiseau, à l’horloge; à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit, à tout ce qui roule, à tout ce qui chante, à tout ce qui parle, demandez quelle heure il est.
Et le vent, la vague, l’étoile, l’oiseau, l’horloge, vous répondront, il est l’heure de s’enivrer ; pour ne pas être les esclaves martyrisés du temps, enivrez-vous, enivrez-vous sans cesse de vin, de poésie, de vertu, à votre guise.
Extrait de Les petits poèmes en prose
Extrait de Dumas, André, Cent prières possibles, Vanves : Cana, 1991, p.132-133.
Notre Dieu, c’est entendu, il ne faut pas confondre le vent de Pentecôte avec les effets du vin doux (Actes 2,13). C’est entendu, la sobriété vaut mieux que l’ivresse et tu n’as jamais souhaité que nous confondions la drogue avec la foi.
Mais il pourtant bon de vivre parfois en légère ivresse, de perdre son quant à soi et sa timidité, d’oublier sa trop rigide identité, de voguer de tendresse en allégresse. Il est bon de confondre le jour avec la nuit, de recevoir un coup de lune en plein soleil, de se baigner à minuit comme à midi. Il est bon de dire des bêtises sensées et d’inventer des étourderies. Il est bon de danser au rythme du corps et du cœur. Oui, il est bon d’être un peu ivre, comme ton apôtre Saint Paul l’était aux yeux sourcilleux des paroissiens de Corinthe : « Ah ! si vous pouviez supporter de moi un peu de folie, eh bien oui ! supportez-moi ! » (2Corinthiens 11,1).
Car, notre Dieu, tout est bon dont nous pouvons nous réjouir en remerciant. Tout est bon qui fait briller les yeux, plisser les joues, agiter les mèches. Tout est bon qui donne à ta création son allure de fête et qui de ta création nous institue convives. Tout est bon, quand je perds la tête car j’ai trouvé ma joie.
Nous te demandons l’ivresse légère, qui nous transporte en ballon jusqu’au ciel de tes annonciations et de tes bénédictions. Nous te demandons de pouvoir en garder le délice du souvenir, quand nous sommes revenus au réveil du petit matin dégrisés. Nous te demandons cette légère ivresse pour tous ceux qui nous entourent, dans notre famille et chez nos amis, dans notre travail et chez nos voisins, dans notre paroisse et chez nos « coreligionnaires », dans notre monde et parmi les nations, afin que l’on sente, quand même, que tu nous donnes le pain, mais aussi le vin, la tâche mais aussi la joie, la foi mais aussi l’ivresse.
Car c’est par l’ivresse de ta folie que tu as créé, que tu as sauvé et que tu accompliras le monde. Amen.