L’ivresse du pouvoir - Clés de lecture

Esther

Dans la Bible hébraïque, le livre d’Esther appartient à un ensemble de cinq petits livres lus en relation avec des fêtes juives : le livre de Ruth à Pentecôte, le Cantique des Cantiques à Pâque, Qohélet (ou l’Ecclésiaste) à la Fête des Tentes, le livre des Lamentations à la commémoration de la destruction du Temple et Esther à Pourim Le mot hébreu « pourim » veut dire « sorts ». Le mot désigne une fête juive qui commémore la délivrance miraculeuse du massacre programmé à l’encontre du peuple juif dans l’Empire perse.* (commémoration des événements décrits dans le livre d’Esther). Dans les traductions françaises qui suivent l’ordre hébraïque des livres de l’Ancien Testament (notamment la TOB -Traduction œcuménique de la Bible- et certaines éditions de la Bible en français courant), le livre d’Esther se trouve ainsi après celui des Lamentations.Quand, dès le troisième siècle avant Jésus-Christ, des Juifs d’Alexandrie ont traduit la Bible hébraïque en grec (traduction dite des « Septante Traduction grecque de la Bible hébraïque entreprise par les communautés juives d'Alexandrie en Egypte au 3e siècle av. JC.* « ), ils ont modifié l’ordre des livres. Ils ont rangé le livre d’Esther parmi « les livres historiques ». Certaines éditions françaises suivent cet ordre (par exemple les éditions et révisions de la traduction de Louis Second). Ils ont aussi inséré dans l’histoire six additions qui allongent le texte d’environ 70 %. Comme le texte grec a longtemps fait autorité pour la plupart des chrétiens, certaines traductions modernes éditent le livre d’Esther selon l’hébreu mais en y insérant en italique les adjonctions de la Septante (voir par exemple certaines éditions de la Bible de Jérusalem). D’autres traductions, dont la TOB, offrent une traduction de l’ensemble du livre grec d’Esther sous le titre « Le Livre d’Esther (grec) » parmi les livres deutérocanoniques Du grec deuteros, " deuxième", et canon, " règle, norme ". Nom donné à sept livres qui se trouvent dans la traduction grecque de la Bible, version dite de la Septante (LXX).*.

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Xerxès

Le roi Xerxès, appelé parfois « Assuérus », règne sur l’empire perse de 486 à 464 avant Jésus-Christ. Il succède à son père Darius. L’empire est alors à son apogée et s’étend de l’Inde à l’Egypte. Au début de son règne, après avoir vaincu une révolte en Egypte, Xerxès revient au cœur de ses terres et il prépare une expédition contre les Grecs pour conquérir leur pays et agrandir son empire en Europe. Les Grecs repousseront cette expédition. Malgré cela, Xerxès et sa cour restent dans l’imaginaire de l’Antiquité l’exemple même de la splendeur et de la puissance perses. Il est le roi le plus riche et le plus puissant de son temps.L’histoire d’Esther reprend beaucoup de clichés véhiculés par la littérature grecque sur Xerxès et les Perses. L’histoire se présente comme une sorte de roman historique. L’auteur choisit de situer son récit à une époque passée qui offre des similitudes avec sa situation présente. Il vit probablement à Alexandrie, capitale du royaume grec d’Egypte où les Juifs sont nombreux. Comme les Juifs à Suse, il est exilé dans un pays étranger. Il subit une domination païenne qui fascine par sa culture et ses richesses mais qui menace l’identité religieuse et culturelle juive. Il parle d’un empire ancien pour dénoncer les dominateurs contemporains. L’auteur incite le lecteur à se poser des questions sur Dieu, mais aussi, et peut-être surtout, sur son identité de croyant dans une situation de minoritaire.

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Suse-la-citadelle

La ville de Suse, située sur un plateau à l’Est de la Mésopotamie, est l’une des capitales de l’empire perse, avec Ecbatane et Babylone. Darius, le père de Xerxès, a fait édifier dans la partie haute de la ville, la citadelle et un palais royal qui sert à la fois de résidence et de centre administratif. Le reste de la partie haute était occupé par la ville royale. Ce palais, magnifique, est le symbole de la puissance et de la richesse du royaume.Le palais est un ensemble de bâtiments, protégés par une muraille, dans lesquels on entre par une porte principale. Cette porte sera un lieu important dans l’histoire d’Esther. Elle assurait probablement la protection de l’accès au palais et le contrôle des personnes qui voulaient entrer. Elle est lieu d’interface entre la ville et la citadelle.Le palais de Suse contenait aussi des jardins. Ces jardins perses étaient réputés pour leurs grands arbres, leurs animaux sauvages et leurs bassins. Ils étaient assez grands pour que l’on y pratique la chasse. Le mot qui désignait ces jardins est à l’origine du mot français « paradis ». Au pied de la partie haute de la ville, Darius avait fait détourner la rivière pour constituer un fossé protecteur sur le côté Ouest de la colline.

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Un banquet de sept jours

Ce banquet est le deuxième du livre. Le premier, raconté dans les versets 1-4 du chapitre, a duré 180 jours et rassemblé tous les dignitaires de l’empire. Ce deuxième banquet lui fait suite. Sa durée, une semaine, est plus réaliste que les six mois du premier, une exagération qui veut montrer la démesure de Xerxès. Tous les habitants de la citadelle sont invités à rejoindre les grands du royaume pour fêter avec eux.Le banquet se tient « dans la cour du jardin du palais ». Il s’agit probablement d’un pavillon pour les réceptions avec des colonnes ou d’une grande cour avec une colonnade tout autour. C’est en tout cas un bâtiment luxueux destiné aux réceptions.Le mot hébreu pour banquet vient de la racine « boire ». Il annonce l’importance du vin. Les Perses sont connus dans l’Antiquité comme amateurs de vin et de festins. Une partie du tribut que les peuples sujets devaient au roi était apportée en nature et contribuait à garnir la table royale.Les banquets jouent un rôle important dans le Livre d’Esther. Ici, ces deux banquets doivent manifester la gloire de Xerxès et susciter l’admiration et la fascination des invités et les convaincre de la grandeur du roi. Le narrateur dénonce ainsi discrètement un moyen souvent utilisé par les souverains pour renforcer leur influence sur leurs sujets.

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De la dentelle, de la mousseline, de la pourpre

La description du lieu du banquet est une suite de mots rarement employés dans la Bible. Plusieurs ne se trouvent qu’ici. Ils coulent comme une cascade d’exclamations admiratives prononcées par celui qui découvre ce lieu extraordinaire. Il est probable que déjà pour bien des lecteurs juifs, certains de ces mots étaient incompréhensibles. Ils évoquent l’exotisme, la richesse et le raffinement de la cour.Des tissus précieux sont tendus entre les colonnes, soit comme des rideaux soit comme un ombrage. Leurs attaches sont elles aussi précieuses et colorées. Les teintures étaient alors un luxe. Les tissus et les couleurs expriment la royauté, certains se retrouvent dans la description du vêtement royal porté par Mardochée. Lee colonnes sont en « albâtre », mot qui a été remplacé dans d’autres traductions par « marbre » qui convient mieux à des colonnes. Les divans servent à s’allonger pour les repas car on mange alors couché. Ils sont incrustés d’or et d’argent. Le regard continue à descendre et arrive au sol. Le pavement est de quatre pierres avec des couleurs différentes, difficiles à préciser. Les archéologues ont retrouvé une inscription dans laquelle le roi Darius, constructeur du palais de Suse, fait une liste des matériaux utilisés pour la construction du palais de Suse. Cette liste permet de confirmer que ce palais était splendide et très richement décoré.

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La règle était de boire sans contrainte

Le mot « règle » traduit ici un mot d’origine perse qui signifie « la loi, la coutume ». Les Perses étaient connus pour leur juridisme, pour leur goût de tout réglementer, comme si chaque problème particulier pouvait se résoudre par une loi. Ici, même l’absence de contrainte fait l’objet d’une loi royale ! Il est « interdit d’interdire » la consommation de vin. Le narrateur se moque. En même temps, cette remarque souligne la générosité du roi pour ses hôtes et l’absence de mesure qui règne à la cour.
Italiques : absence

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Vasti, la reine

Aucune reine, épouse de Xerxès, n’a porté le nom de Vasti. L’épouse de Xerxès, bien connue des historiens, s’appelle Amestris. La reine organise son propre banquet pour les femmes. La séparation des hommes et des femmes lors des banquets reflète plutôt la pratique grecque que la pratique perse. Les hommes mangent entre eux et, dans la deuxième partie du banquet, consacrée à boire et à discuter, ils peuvent faire venir des femmes, concubines ou prostituées. Il semble qu’en Perse, lors des banquets, le roi faisait sortir la reine avant le moment où l’on boit.La sobriété de la description du banquet de la reine contraste avec celle des banquets du roi. Elle peut laisser présager une différence de personnalité entre eux ou marquer le peu d’importance accordée aux femmes. L’introduction de Vasti dans le récit prépare son refus.

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Le roi était gai

L’expression hébraïque qui décrit l’état du roi dit littéralement : « le cœur du roi était bien ». Le cœur est le siège de la volonté et de la pensée. L’effet du vin est de rendre le roi de bonne humeur. Il se sent bien et se trouve en état de réfléchir, même si ses capacités de réflexion sont diminuées par l’effet de l’alcool. Le fait de décider en ayant bu semble une habitude perse qui étonne l’historien grec Hérodote : « Ils ont aussi l’habitude de décider, quand ils sont ivres, des questions les plus importantes » (Histoire, livre I, 133). Xénophon (né vers 430 et mort vers 355 avant Jésus-Christ, écrivain grec qui est allé à la cour perse), écrit à propos des rois perses : « L’usage leur défendait d’apporter des pots de chambre dans les banquets, évidemment parce qu’on pensait qu’en ne buvant pas avec excès, le corps et l’esprit risquaient moins de chanceler. A présent la défense dure encore ; mais ils boivent tellement qu’au lieu d’apporter des pots de chambre, c’est eux qu’on emporte, quand ils ne peuvent plus se tenir debout pour sortir » (Cyropédie, livre VIII, 8, 10, traduction par Pierre Chambry, Œuvres complètes, volume 1, Garnier Flammarion, Paris, 1967, p. 314s.). Même si ces propos sont exagérés, ils reflètent bien l’image de la cour perse chez les Grecs. L’ébriété est cependant admise aussi par les Grecs et certains philosophes trouvaient que c’était un état propice à la réflexion.La tradition juive sur la consommation du vin est plus réservée, comme une partie de la morale actuelle. Pour le lecteur juif, l’ébriété du roi est probablement un indicateur négatif qui annonce une perte de maîtrise de soi, avec tous les risques que cela peut comporter.

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Les sept eunuques

Dans l’Antiquité, les eunuques (des hommes castrés) ont souvent des responsabilités importantes à la cour, notamment pour la garde du harem (le mot eunuque vient du grec eunê et ekhô ce que l’on peut traduire par « gardien du lit »). Ici, pour aller chercher la reine, le roi en envoie sept, nombre de la perfection, nombre aussi des conseillers de Xerxès au verset 14. Leurs noms ne sont pas attestés ailleurs mais sont de consonance perse. Leur énumération renforce la couleur exotique du récit et l’aspect pompeux de la cour.

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Faire venir Vasti la reine

Le roi demande à Vasti de venir pour « montrer (…) sa beauté ». Il a déjà organisé un festin pour « montrer la richesse de sa gloire royale et la splendeur de sa grande magnificence » (verset 4), il présente maintenant celle qui devrait être le clou du spectacle, sa femme. Elle doit venir parée de son diadème royal, probablement un turban décoré de bijoux. Ses ornements doivent attester l’appartenance de Vasti au roi. Le narrateur suggère ce que chacun devrait dire en la voyant : « Qu’elle est belle à regarder ». Les spectateurs doivent être subjugués par la splendeur de la reine et surtout fascinés par la grandeur de Xerxès qui peut avoir une telle épouse.

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La reine Vasti refusa de venir

Le refus de la reine est surprenant. Elle n’en donne aucune raison et personne ne lui en demande. Certains lecteurs ont considéré que, comme le texte précise qu’elle doit venir en portant son turban royal, elle ne devait rien porter d’autre, et donc venir nue. Son refus serait alors plus compréhensible. Toutefois le texte ne permet pas de justifier cette interprétation. Le refus de Vasti peut probablement se comprendre plutôt en tenant compte de la culture d’alors. A la fin des banquets, quand les hommes boivent, seules restent les concubines ou les prostituées. La demande du roi est déplacée et met la reine devant un dilemme. Si elle vient, elle accepte de se mettre au rang des concubines et des prostituées et elle perd sa dignité; si elle refuse, elle risque de fâcher le roi et de perdre sa place. Elle choisit de préserver son honneur. L’attitude de la reine apparaît en conformité avec la sobriété de la description de son banquet, en contraste avec celui du roi, ce qui pourrait suggérer que le narrateur a plus de sympathie pour elle que pour le roi.Le fait que le récit précise que le roi a trop bu est probablement un indice pour laisser penser que s’il avait été en possession de toute sa raison, il n’aurait pas fait une telle demande.

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Une grande colère

Xerxès réagit au refus de Vasti par la « colère » et la « fureur ». Les deux mots, qui ont le même sens, se renforcent mutuellement et doivent impressionner le lecteur. La boisson a fait déjà perdre la raison à Xerxès, elle lui fait perdre maintenant le contrôle de ses émotions. Dans la sagesse antique, la perte de maîtrise de soi est une faute grave, particulièrement pour un roi. Le sage est celui qui garde en tout temps la maîtrise de soi.Pour le narrateur, Xerxès réagit d’une manière disproportionnée. Certes, le roi vient de subir une atteinte à son autorité, voire à son honneur (la reine a désobéi ; elle lui a fait rater son coup et son refus est un acte public), mais le roi aurait pu réagir autrement. Le choix du narrateur d’insister sur la colère de Xerxès prépare la suite du récit et montre un monarque prisonnier de ses émotions. Les décisions qui suivront, prises sous l’empire de la colère, ne sauraient être judicieuses et le lecteur est préparé à les voir d’un regard critique.

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